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L'HUEH, Comme en enfer

Le Nouvelliste / 16 Octobre 2008

L'HUEH est une géhenne. Un mouroir où la dignité des malades de condition modeste leur est enlevée, un lieu où l'incurie étatique conforte le nihilisme ambiant.

Le trentenaire agonisant à la salle d'urgence de l'HUEH
(Photo: Roberson Alphonse)

Marie Fleurial Acéac et son enfant brulé suite à une lectrocution
(Photo: Roberson Alphonse)

Un grand brulé pansé par de rares résidents qui assurent le service minimum
(Photo: Roberson Alphonse)

A l'entrée de la salle d'urgence le cadavre d'une femme mortellement blessée à la tête gît dans un vehicule du Parquet de Port-au-Prince. La victime a été atteinte du projectile à Lalue en milieu de journée



Il bave. Ses pupilles sont dilatées. Recouvert d'un drap bleu pris d'assaut par des mouches, sa respiration est imperceptible. Abandonné avec quatre autres compagnons d'infortune à la salle d'urgence de l'HUEH à cause de la grève des résidents, un homme dans la trentaine égrène ses dernières minutes sur cette terre. Dans l'indifférence de tous. Stoïque, une femme squelettique, dont le lit se trouve à deux pas, semble appeler la mort de ses voeux. Ses yeux, livides, conservent cependant une utile expression : de la colère d'être née et d'avoir vécu ici, dans ce pays où les humbles, les gens de condition modeste sont traités comme des animaux.

Sans être elle-même dans le couloir de la mort, Marie Fleurial Acéac est frappée par ce dépit, cette colère, cette rage. Elle gueule. Et pour cause. Maire assesseur de Léogane, cette jeune femme, mère de deux enfants, boit la coupe de la déception, de l'humiliation et de l'inhumanité faite aux « patients » jusqu'à la lie. Elle est, depuis le 17 septembre 2008, au chevet de son fils aîné, Jemylee, 11 ans, brûlé au troisième degré par électrocution.Condamnée à se battre pour la survie de Jemylee, elle semble avoir enfoui quelque part en elle la douleur de la perte de son benjamin de 9 ans qui n'a pas survécu à cet accident causé par la chute d'un câble de l'E D'H sur le toit de sa maison à Léogane. « C'est révoltant ! Bien avant la grève, j'avais vu des gens mourir sur des chaises roulantes, faute de soins », explique-t-elle en concédant que les autorités ont failli à leur mission.

Cette femme qui a fait le choix d'abandonner temporairement son poste pour s'occuper de son enfant n'a pas pris de gants pour critiquer l'incurie des timoniers de l'Etat. « Lors du drame, j'étais à Miami où je représentais ma ville, mon pays. C'est inconcevable que personne ne m'ait exprimé, sous une forme ou sous une autre, sa solidarité. Même pas des fleurs », dit-elle en gardant un oeil sur son petit alors qu'une puanteur répandue par la chair pourrie de la cheville d'un diabétique envahie la salle de chirurgie.

Si à la chirurgie traînent quelques patients, la maternité est déserte ou presque. Imperturbable, requérant l'anonymat, un résident confie que le débrayage lancé depuis le samedi 11 octobre vise à réclamer sept mois d'arriérés de salaire et de meilleures conditions de travail. Sans brocher, ni sourciller, il souligne que cette fois les grévistes ne baisseront pas pavillon.

Le revers de la médaille. Comment un résident peut-il travailler sans avoir un contrat ? Quelle est la responsabilité du directeur général de l'hôpital ? , s'interroge un médecin. « La vérité qui dérange, c'est que les résidents qui n'ont pas reçu de chèque n'avait pas signé le contrat qui leur était soumis par le ministère de la Santé publique. Une clause avait « dérangé ». Ils n'ont pas voulu travailler en province sans des frais additionnels », confie ce disciple d'Hippocrate. Après tout, poursuit-il, l'hôpital ne peut cesser de fonctionner parce que des résidents font la grève. Les médecins employés par le ministère de la santé publique sont plus nombreux que les résidents ».

Outre les problèmes administratifs, d'encadrement indispensable à la poursuite de la formation des résidents, la méchanceté et le manque de courage des uns et des autres sont patents. L'opinion publique a conscience de la gravité de la situation lorsqu'il y a ce genre de mouvements. Mais au quotidien, c'est un hôpital où les médecins de service sont rarement à leur poste, informe-t-il. Ironique et cynique par rapport à une situation qui ne l'est pas moins, ce médecin résume en une phrase le sort des malades délaissés et condamnés à la mort. « C'est le problème de personne, car ceux qui meurent sont des malheureux », balance-t-il avant d'aller s'occuper de ses oignons.

La mort banalisée. Alors que cet interlocuteur tourne le dos, une jeep du parquet de Port-au-Prince transportant une dame atteinte d'une balle à la tête se dirige, un peu après 12 heures 39, vers la salle d'urgence où l'homme dans la trentaine s'approche de plus en plus de l'autre monde. Au final, ces deux infortunés, dans une capitale où la prise en charge des urgences est quasi nulle, se sont donné la main pour aller, ensemble, dans l'au-delà.

C'est après tout un jour de grève comme un autre à l'HUEH. Un hôpital situé à un jet de pierre du palais présidentiel. Un lieu où les mots compassion, service, disponibilité, droit à la santé ne veulent rien dire. Un lieu où l'on comprend de plus en plus comment l'incurie, le «nihilisme» étatique traînent les gens de condition modeste dans la boue.En enfer !!!

Roberson Alphonse
robersonalphonse@yahoo.fr

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