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En Haïti, les habitants des Gonaïves survivent dans la boue

LE MONDE 15.10.08 16h09 • Mis à jour le 15.10.08 20h05


LES GONAÏVES (HAÏTI ) ENVOYÉ SPÉCIAL

AP/ARIANA CUBILLOS
Une femme traverse une rue des Gonaïves (Haïti) ensevelie sous la boue. En août et en septembre, la ville a été dévastée par des inondations, provoquées par quatre cyclones consécutifs.


"Robe de mariage à louer" : l'annonce pend sur une maison à moitié détruite et maculée de boue, avenue des Dattes, au centre des Gonaïves. Mal protégées par des morceaux de bâches et de vieux draps, de nombreuses familles campent encore, entourées des quelques objets qu'elles ont pu sauver, sur les toits plats des maisons qui ont résisté à la furie des eaux.


Plus d'un mois après le passage d'Ike, le dernier des quatre cyclones qui ont ravagé Haïti entre fin août et début septembre, la ville des Gonaïves, la quatrième du pays avec 300 000 habitants, est toujours pétrifiée dans la boue. Les 4 × 4 peinent à remonter l'avenue des Dattes, l'une des principales artères, encore largement inondée. Des femmes, accroupies au bord d'égouts à ciel ouvert, tentent de laver quelques vêtements dans l'eau fangeuse. De petits marchés s'improvisent au milieu des monceaux de boue et de détritus.

"Il y a plus de 2,5 millions de mètres cubes de boue. Si l'on disposait d'une noria de 200 camions travaillant non stop, il faudrait un an pour nettoyer la ville. Pour le moment, il n'y en a qu'une quarantaine", calcule Jean-Marie Duval, ancien responsable d'une organisation non gouvernementale (ONG) recruté par les Nations unies pour coordonner l'aide humanitaire. Les missions d'évaluation succèdent aux experts sur la base de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), protégée par des casques bleus argentins et pakistanais.

Vikki Stienen, le responsable de Médecins sans frontières (MSF-Belgique) aux Gonaïves, s'impatiente face aux lenteurs de la réponse humanitaire internationale. "Si vous n'allez pas résoudre les problèmes, inutile d'envoyer des experts et d'écrire des rapports", lance-t-il. La Minustah, dont le budget annuel atteint 575 millions de dollars (422 millions d'euros), fait valoir que l'aide humanitaire ne relève pas de son mandat, renouvelé pour un an, mardi 14 octobre.

Les autorités locales, impuissantes face à l'ampleur de la catastrophe, et les représentants de la communauté internationale se renvoient la balle pour expliquer l'inaction à la suite du désastre provoqué en 2004 par la tempête tropicale Jeanne, qui a tué plus de 3 000 personnes aux Gonaïves. Où sont passés les 43 millions de dollars officiellement alloués à la ville après le désastre de 2004 ?, interrogent plusieurs habitants, qui accusent les responsables locaux de corruption.

Une fraction de cette somme a été dépensée pour la réfection de l'hôpital de la Providence, le principal de la ville, qui a de nouveau été dévasté par les coulées de boue cette année. Les autorités ont, cette fois, décidé de le reconstruire sur un terrain plus élevé, à l'abri des inondations. Mais les travaux dureront plus de deux ans.

En attendant, MSF a improvisé un hôpital de 74 lits dans un vaste hangar. "Nous avons pris la décision le 17 septembre et accueilli les premiers patients dix jours plus tard", raconte Pierre Malchair, un médecin belge âgé de 27 ans, qui assure la direction de l'établissement, où des médecins et des infirmières des Gonaïves travaillent avec l'équipe de MSF. Les soins sont gratuits, comme dans la clinique de Raboteau, un quartier durement touché, où MSF travaille avec des médecins cubains.

Comme le docteur Olivier Kleitz, représentant de l'Organisation mondiale de la santé, Pierre Malchair confirme qu'il n'y a jusqu'à présent pas d'épidémie aux Gonaïves, en dépit des conditions sanitaires déplorables. "Les moustiques porteurs de la malaria ont besoin d'eau propre, ce qui n'est pas le cas aux Gonaïves", explique-t-il. Dans la salle de pédiatrie, plusieurs enfants présentent tous les symptômes de la malnutrition. "Dès notre arrivée, nous avons constaté que la distribution d'eau potable était une priorité. Le réseau de la ville était obstrué ou détruit. Nous avons remis en état une station de pompage et de traitement à Pont-Godin, au sud des Gonaïves, qui fournit 500 m3 par jour", détaille Vikki Stienen, qui dispose d'un budget de 1,8 million d'euros pour toutes les opérations de MSF. L'eau est acheminée par camions vers 23 points de distribution disséminés dans la ville. "Les désastres sont aussi l'occasion de bonnes affaires pour certains businessmen. Nous avons dû louer les camions à Port-au-Prince au prix fort, 375 dollars par jour", déplore-t-il.

A l'approche de la rentrée des classes, les écoles privées et des églises ont évacué les sans-abri qui y avaient trouvé refuge. Le Père Iguens Calixte, directeur adjoint de l'école technique Cardinal-Keeler, dans le quartier de Bigot, est mal à l'aise. "La mort, mais pas le péché", lit-on sur la façade de l'imposante bâtisse où plus de 400 sinistrés s'étaient réfugiés. "On leur a demandé de partir, car nous devons préparer la rentrée. Nous ne sommes pas un centre d'hébergement et n'avons reçu aucune instruction des autorités", se justifie-t-il.

Personne ne sait combien il y a de sans-abri. Un campement a été installé sur un terrain pierreux à Praville, au-dessus des Gonaïves. Plus de mille personnes s'y entassent dans 66 tentes données par le Rotary Club. Parmi eux, Georges Petithomme, un avocat de 43 ans, père de trois enfants. "J'ai tout perdu, ma maison, tous mes biens, et nous n'avons reçu aucune aide du gouvernement. Juste un peu de nourriture et de l'eau potable distribuées par les ONG", dit-il.

Le camp ne cesse de s'étendre. De nouveaux arrivants improvisent des abris à l'aide de pieux et de bouts de tissu. "Je n'ai plus rien, seulement mes deux enfants", dit Noémie Josèphe, une commerçante de 51 ans, à l'ombre d'une bâche. "Les habitants des Gonaïves sont KO, comme s'ils n'attendaient plus rien et qu'ils n'avaient plus la force de réagir", constate Jean-Marie Duval, qui a travaillé plus de dix ans en Haïti.

Jean-Michel Caroit
Article paru dans l'édition du 16.10.08.

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