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En Haïti, la Francophonie se met au service de la justice

La Croix.com
16/10/08


Le sommet de la Francophonie s’ouvre vendredi 17 octobre à Québec. Cette organisation ne s’occupe pas uniquement de culture, mais aussi de démocratie et de justice

Le petit bureau de Jean Bello Donissant ne désemplit pas : ce matin, comme à l’accoutumée, les affaires se succèdent au tribunal de paix du quartier Delmas 2 de Port-au-Prince. Ici, on ne traite que de petites affaires : un propriétaire qui ne reçoit pas son loyer, un locataire floué, une vive discussion qui dégénère un samedi soir… Le président du tribunal n’a pas le temps de souffler : toutes les dix minutes, la porte de son bureau s’ouvre et un assistant fait entrer une victime ou un accusé, c’est selon.

Sur la porte, Jean Bello Donissant a pris soin de recouvrir sa porte de papier afin de la protéger de la saleté. « Il faut que l’endroit soit propre pour que la justice soit respectée », lâche le magistrat, qui garde son calme au milieu du tourbillon, alors que l’on dépose sur son bureau un nouveau document. Dans le hall blanc du bâtiment, il a fait afficher un court texte : « Gardons propre le tribunal, ne touchez pas les murs ».

Devant lui, une quinzaine de chaises, toutes occupées. Une femme attend sa convocation, sa voisine une attestation officielle du tribunal pour faire examiner sa blessure à l’hôpital et en mesurer la gravité. Un étudiant guette, lui, le retour d’un ami témoin, parti chercher un document d’identité. Une fois encore, la porte s’ouvre, un petit homme entre. Un pansement à l’oreille, il se tient debout, alors que son agresseur présumé, qui a déjà trouvé un siège, tente, sans grande conviction, de se défendre. « J’avais bu, j’ai oublié », lâche-t-il en créole.
La justice se bat avec des moyens particulièrement faibles

Les faits remontent au week-end dernier, en plein milieu de la nuit, et la victime demande 15 000 gourdes (280 €) de dédommagement. L’accusé refuse. « Nous n’avons pas d’argent », dit à voix basse sa mère, un joli chapeau rouge sur la tête. Ce qui n’empêche pourtant pas un avocat costaud et plutôt tonitruant d’arriver pour aider l’accusé, provocant un léger sourire chez Jean Bello Donissant. Alors que d’autres personnes sont présentes dans le bureau, le débat s’engage, l’avocat tentant de démontrer que son client est également blessé… Avant de proposer 5 000 gourdes (93 €) pour tout dédommagement. Les deux parties n’arrivant pas à s’entendre, les hommes se retrouveront au tribunal.

En Haïti, pays le plus pauvre du continent américain, la justice se bat tous les jours avec des moyens particulièrement faibles. Pas question, par exemple, pour ces tribunaux de proximité de recevoir le bulletin officiel (BO) pour être informé des nouvelles lois… « Pourtant, pour appliquer la loi, il faut bien la connaître ! », clame Jean Bello Donissant.

Une évidence qui, en Haïti, ne l’est pas. D’où la décision de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), mandatée par l’Union européenne et le Canada, de mettre l’accent sur la formation continue. Car la Francophonie ne s’occupe pas que de promouvoir à travers le monde le français et la diversité culturelle – ce qu’elle fait également en Haïti, où l’OIF a mis sur pied, avec l’État, une dizaine de centres de lecture dans tout le pays, souvent uniques lieux où des livres sont disponibles dans les petites villes de province.
Des sessions de formation à l’École de la magistrature

« La promotion de la démocratie, et donc de l’État de droit, est l’une de nos priorités, explique à Paris Clément Duhaime, administrateur de l’OIF. Comme nous avons une compétence reconnue dans ce domaine – depuis des années, nous intervenons pour aider les pays à améliorer le fonctionnement de leurs institutions judiciaires, notamment dans le sens de la diffusion du droit, via des bases de données ou de la formation – l’UE et le Canada nous ont confié ce projet, qui a débuté en 2006. »

Trois grands axes de développement ont été définis : renforcement de l’accès à la justice, renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire, et renforcement de la diffusion du droit, pour un budget de 6 millions d’euros sur trois ans. Un projet pilote qui pourrait être adopté ailleurs, permettant aussi à l’Organisation internationale de la francophonie – dont le budget est constant, de l’ordre de 80 millions d’euros – de trouver des financements extérieurs.

C’est grâce à ce programme phare que Jean Bello Donnissant a ainsi pu suivre une session de formation à l’École de la magistrature (EMA), remise sur pied grâce à l’aide de l’OIF. L’EMA n’a fonctionné que quelques années, et n’a formé que trois promotions, au milieu des années 90. Après, elle a souffert des soubresauts du régime, avant d’être réquisitionnée par les militaires, lors de la chute du président Aristide, en 2004. Les locaux sont aérés et forment comme un petit campus. Les travaux sont toujours en cours, et l’école ressemble un peu plus à une école, même si des matelas par endroits rappellent l’occupation par les militaires, qu’il a fallu convaincre de quitter les lieux.

Dans une classe, une trentaine de juges de paix sont installés, prêts à prendre des notes. « C’est la seconde session, explique Lionel Bourguoin, le directeur de l’école. La formation dure six semaines. Cet été, nous avons eu une première vague de juges. Avant, les juges de paix étaient avant tout des notables, des gens à qui l’on faisait confiance, plutôt que des experts du droit. » Dans cette école, l’ambition est de voir passer les 440 juges de paix que compte le pays. L’OIF a aidé aussi bien matériellement – équipement des locaux – que pour l’élaboration et la mise en place des programmes de formation. Mais l’EMA veut aussi former d’autres professions liées au monde juridique, comme les greffiers, par exemple. « Vous savez, certains ne savent pas lire, ça n’aide pas au bon fonctionnement de la justice », lâche le directeur.

Gilles BIASSETTE à Port-auPrince

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