dimanche

Haiti : Il était une fois Gustav, Hannah, Ike… et Gonaïves encore sous les terres puantes

AlterPresse
vendredi 10 octobre 2008

Extrait de la revue La Machette
Par Gahston Saint-Fleur [1]



Trois cyclones viennent coup sur coup frapper Haïti comme pour continuer le travail commencé par l’ouragan Jeanne il y a 4 ans. Ce n’est pas nécessaire de mentionner les dégâts. L’imaginaire humain est incapable de les mesurer à moins que l’on se rende sur les lieux. Les reportages télévisés, les photos, les ouï-dire, même les expressions les plus véhémentes sont impuissantes et insuffisantes pour décrire la situation. L’État, cette entité ambiguë et fictive, se fait fi des critiques les plus acerbes. Certes, il est le responsable principal et avec lui, d’autres coresponsables.

C’est le cas de Boukman pour avoir livré le pays aux divinités africaines. Au lieu de se servir du sang d’un agneau, il a pris celui d’un porc – souvenons-nous bien du contenu connotatif de cette bête dans la bible. D’autres de la même lignée, mais avec moins de ferveur, accusent Dessalines d’avoir été impitoyable avec les colons français. C’est ce sang qui coule dans nos veines, les descendants, disent-ils. C’est le gouvernement d’un tel Président X ou Y qui nous a mis dans cette situation. À Port-au-Prince, à l’intérieur comme à l’extérieur d’Haïti, les rues et les médias se surabondent au cours des derniers jours. Les médias servent très peu à dédier leur temps au journal. Les mêmes accusations de toujours, d’ailleurs l’imaginaire de l’homme moderne ne s’intéresse pas trop à l’invention de nouveaux mythes.

Qu’un État, un Léviathan au style hobbesien, existe seulement pour charger la gravité de nos erreurs et inventer la réponse à des questions que nous ne nous contentons que de formuler, n’a rien de sage. Hors de l’ensemble des citoyens dans lesquels il s’incarne, le concept État est indéfinissable. De nos jours, avec l’avènement de la démocratie, chaque citoyen peut s’arroger cette expression de Louis XIV : « L’État c’est moi ». Si nous vivons des moments extrêmement difficiles, si l’état dévasté de nos monts se convertit dans notre calvaire à grimper, nous autres manchots et boiteux, c’est à nous de nous interroger, et ce, pas pour nous torturer intérieurement, mais plutôt pour agir dès maintenant. Aussi agréable que soit son souvenir, le passé est caduc ; nous n’avons que le présent ; peu importe s’il est ténébreux et confus, par lui nous devons façonner un avenir meilleur pour nous et les générations futures.

Haïti est victime de « la mort sociologique », c’est-à-dire, le fait par des citoyens d’atteindre un état dans lequel notre présence et notre absence s’articulent avec une perfection telle que la distinction de l’une de l’autre est à peine perceptible. Les citoyens chuchotent entre eux sur le vol administratif ou la corruption, sur la violation de leur droit, mais jamais oserait-on les dénoncer. En septembre 2004, tout le monde se plaignait de la déviation des aides humanitaires destinées à la reconstruction des Gonaïves, personne n’a osé passer à l’action. La psychose de peur que sèment les plus astucieux est une arme puissante et jusqu’alors victorieuse en ce sens. Fruit d’un paternalisme étatique malsain et mal nourri, ces réactions favorisent la permanence des maux dont nous sommes victimes. Voilà en bref ce qui justifie que quatre ans après, sur les mêmes lieux dans la même époque, une situation désastreuse et malheureuse se répète. Quatre ans, ce ne sont pas vingt-cinq ou cinquante ans ni une ou deux générations !

Pire encore, les médias ne sont pas exempts. Citons un fait qui servira à illustrer notre affirmation. Un groupe de professionnels de la presse haïtienne devaient se rendre au Cap-Haïtien dans l’exercice de leur fonction. N’ayant pas pu le faire par la Route Nationale N 1, ils ont dû passer par le Plateau Central, une autre odyssée à monter. Ils se plaignent de la situation dans un article du Nouvelliste (Le grand Nord isolé, LN, 16-09-2008, pages 1-2) où ils racontent leur journée cauchemardesque durant 11 interminables heures. Alors que l’on mentionne toujours les millions dépensés dans les infrastructures routières de telle ou telle zone du pays, une marche à suivre ? A-t-on dénoncé la situation devant un tribunal local qui permettrait de faire le suivi au niveau d’une instance internationale, dans un éventuel silence des autorités judiciaires ?

Nous autres citoyens, principales victimes des failles du système et bénéficiaires de sa réussite, c’est à nous de faire que les choses se fassent, en nous constituant dans un organisme de pression capable d’aller à l’extrême. En faisant cette affirmation, je suis bien conscient de la situation sui generis d’Haïti. J’ai déjà mentionné la psychose de peur et la violence qu’utilisent les astucieux comme stratégie. Cependant, le peuple qui a su se révolter contre l’esclavage, qui a bravé l’effort contre la dictature et qui a même osé s’imposer avec succès aux mitraillettes des rues, saurait-il maintenant se résigner ? Serait-il l’heure de se réjouir alors que nos larmes continuent à déborder nos rivières desséchées ?

Si nous sommes arrivés à ces extrémités extrêmes, - la répétition est intentionnelle - c’est parce que moi, d’abord, puis toi, nous avons manqué au pays. Le fait que l’on se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur du pays n’est pas un pardon. Prenons le cas des dégâts de l’environnement et sa relation immédiate avec les maux que nous laissent les ouragans dans les 4 dernières années. Il faut reboiser le pays, un fait incontestable pour la viabilité d’Haïti dans les prochaines décennies. Ce défi de reboisement est là depuis bien longtemps. Qu’avons-nous fait à part crier qu’il faut le faire ? Moi, personnellement je n’ai semé que deux arbres durant toute ma vie. J’ai 35 ans, lesquels dans un pays comme le nôtre devraient s’associer avec un minimum de 35 arbres, soit un à chaque anniversaire. Je n’ai nullement besoin d’un État ou d’un quelconque gouvernement pour faire cela.

Les circonstances nous obligent à prendre des mesures. Le moment est propice à l’heure de la réforme de la constitution.

1. Nous devons associer la naissance des enfants à la plantation d’un arbuste, symbole du soin que prodigueraient les parents au nouveau-né.

2. En atteignant 18 ans, nous pouvons associer l’âge de la citoyenneté haïtienne et même l’obtention d’une résidence avec la semence d’un arbre par intéressé.

3. Nous devons aussi associer les examens officiels de fin d’études à la reforestation du pays. En ce sens, les autorités locales dont les ASEK, KASEK et Maires pourraient être très utiles.

Laissons à notre imaginaire, le nombre d’arbres que nous compterons au cours d’un an, avec l’application de ces mesures.

Chapeau pour cette manifestation massive de solidarité - au niveau national surtout - envers les sinistrés ! Je salue l’initiative du Téléthon lancée par le secteur privé haïtien au cours duquel 12 803 772, 00 gourdes (347.754,9046 CAD) ont été collectées sans compter les dons en objet. Cependant, face à la gravité de la situation, nous devons continuer avec les efforts tant individuels, grégaires, institutionnels ou autres. Maintenant, nous subissons les conséquences de ce qui n’a pas été fait. Agissons de telle sorte que les générations à venir puissent nous voir comme le pont entre l’avant et l’après du désastre.

Agissons dès maintenant, tout n’est pas perdu.

Nous sommes un peuple noble. Que notre noblesse serve à notre mieux-être !

Ayiti ap sove. Ayisyen ap sove Ayiti



[1] -Contact : chestedr@gmail.com.

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