mardi

Prison des Gonaïves : Un enfer dans l'enfer de la ville inondée

lematin.ma
Publié le : 09.09.2008 07h47
Par : Abdallah Darkaoui

Des détenus de la prison des Gonaïves s'agrippent à une clôture, en attente de nourriture. (Photo : http://www.cpam1610.com/)


Au commissariat de la ville sinistrée des Gonaïves, à la vue d'un employé de l'ONU, des hurlements bestiaux s'échappent des cellules obscures d'où sortent des mains tendues: les prisonniers, après avoir failli mourir noyés, crient famine.

"Si vous travaillez pour les droits de l'Homme, donnez-nous à manger! On a faim", crient les détenus derrière les barreaux, couvrant la voix du policer qui prend l'identité des visiteurs devant l'entrée boueuse du poste.

"Ils ont mangé avant-hier", fait valoir le chef de poste, Adeleth Adelson. Un traitement qui pourrait passer pour un traitement de luxe aux Gonaïves, où 250.000 sinistrés des ouragans, l'eau jusqu'aux cuisses et coupés du pays, endurent la faim et la soif depuis le passage dévastateur mardi d'Hanna.

Accrochés aux barreaux, sous l'oeil de Casques bleus pakistanais postés sur le toit, des prisonniers ont une autre version des faits.

"On crève de faim, on n'a pas d'eau, ça fait un mois qu'on ne s'est pas lavés", assure Wilbert, un jeune détenu. "Et vous sentez cette odeur? On va tous tomber malades!", s'affole-t-il, entouré de compagnons de cellule au regard approbateur.

Dans l'arrière-cour aux murs sales flotte un air vicié, pestilentiel. Des flaques d'urine et un tas de déchets jonchent le sol. Et "la fosse septique a débordé" à la suite de l'ouragan, remplissant les cellules, s'excuse notre guide en montrant du doigt l'emplacement des latrines, en face de la cellule.

Deux détenus sont morts de tuberculose au cours des derniers jours, a-t-on appris de source humanitaire.

Le soir où Hanna a frappé, les prisonniers ont vu de l'eau monter dangereusement dans leur geôle. "Ils ne voulaient pas nous ouvrir, mais on a réussi à sortir en cassant les barreaux à la force de nos bras, et on est montés sur le toit", raconte l'un des 220 prisonniers du commissariat.
La police assure les avoir laissés sortir.

"Ce n'est pas facile", commente le commissaire des Gonaïves, Ernst Dorfeuille, dont la cinquantaine de policiers sont "dépassés par les évènements".

Interrogé par l'AFP sur les conditions de détention du commissariat, il répond: "Normalement ce n'est pas censé être une prison mais seulement un centre de détention provisoire. Le problème, c'est que ça fait quatre ans". En 2004, lors d'un soulèvement populaire aux Gonaïves, les opposants au président Aristide ont détruit la prison.

Toussenel Chery, membre de la section Droits de l'Homme de la Minustah, la force de l'ONU en Haïti, plaide lui pour qu'on libère tous ces détenus au vu du drame que traversent déjà les Gonaïves.

"Je pense que quelqu'un qui a vécu cette situation a déjà purgé une lourde peine", affirme-t-il.

Dehors, sur la place maculée d'une boue épaisse, des dizaines de sinistrés attendent la nuit pour pouvoir dormir dans le bâtiment de la police.

Plus loin, dans une rue du centre-ville, des centaines d'autres habitants au visage épuisé se fraient tant bien que mal un chemin dans les eaux marron dont le niveau atteint plus d'un mètre, pour se réfugier dans l'un des abris précaires de la ville avant la nuit.

Une femme enceinte, un maigre baluchon sur la tête, frôle dans sa course une carcasse de vache qui flotte, sous le regard d'une famille nombreuse installée sur un toit.

Au-dessus des Gonaïves, un éclair déchire le ciel. Il risque encore de pleuvoir ce soir.

Par Daphné Benoit AFP

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