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Haiti : Bonne gouvernance au service du statu quo

AlterPresse
jeudi 25 septembre 2008

Par Franck Laraque [1]


« Tout comme les autres, il avait dû jouer le jeu, faute de pouvoir le transformer » E. Verdier cité par Leslie J.R.Péan [2]


La déclaration de politique générale du Premier ministre Michèle Duvivier Pierre-Louis est une analyse des problèmes du pays incluant la nécessité et la définition des structures à mettre sur pied pour la bonne gouvernance et la relance de l’économie. Cette déclaration est surtout la vibrante philosophie du Premier-Ministre de la politique du pouvoir. Sa connaissance des problèmes du pays et des solutions adéquates sont présentées avec brio et dans une langue qui reflète la terminologie de l’économie politique moderne. Sa vision des réformes indispensables, nourrie de l’expérience et du succès de FOKAL, est exprimée avec clarté ainsi que la volonté de combattre l’injustice, les inégalités sociales et économiques sans tomber dans la démagogie traditionnelle.

En raison de son manque de spécificité, à peu d’exceptions près, cette déclaration se rapproche beaucoup plus d’une philosophie de la politique du pouvoir que d’un programme concret de gouvernement. On a l’impression que les réalités politiques ont forcé l’adoption de ce que le Premier ministre appelle des compromis et qui sont tout bonnement des compromissions. En politique, particulièrement la diplomatie s’avère indispensable. Mais diplomatie au lieu de substance peut noyer la bonne foi et détruire toute velléité réformatrice. Or, comment expliquer autrement l’absence dans une telle déclaration de questions fondamentales comme : la réforme agraire, les moyens de lutte contre l’aberrante pauvreté des bidonvilles et des sections rurales qui a provoqué les émeutes de la faim, l’occupation, la corruption dans le secteur public et privé, la double nationalité, « la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale » (préambule de la Constitution de 1987), les conférences de presse et débats publics qu’exige la transparence. Une corruption pérenne que Leslie J.R. Péan appelle « économie politique de la corruption » et dont il fait une parfaite radiographie dans son monumental et incomparable Tome IV [3]. Alors que la priorité est accordée à « la rentrée scolaire qui rythme la vie nationale » et dont les moindres dépenses feront désormais partie du budget. Ce n’est pas la rentrée des classes mais bien le sort inacceptable des masses qui rythme la vie nationale ou cause son arythmie. En fait le choix et les allégeances du nouveau gouvernement sont clairs.

Choix et allégeances du nouveau gouvernement

Dans l’article « Concilier l’Inconciliable ? », nous avions indiqué l’impossibilité de concilier des choix antagoniques. Le choix d’une politique favorisant l’intégration des masses dans les circuits économique, politique, social et le choix du statu quo. Le nouveau gouvernement a adopté ce dernier tout en l’assortissant de retouches et de renforcements. En filigrane dans la Déclaration de la Politique Générale se lit la confrontation entre la volonté de transformer et l’impossibilité d’une telle transformation face à la réalité de la corruption tant des différentes branches de l’Etat que de la société et qui aboutit, faute de forces réelles du Premier-Ministre, à la capitulation. Le choix de la politique générale et les allégeances se révèlent dans l’adoption de la même politique nationale et de la même politique internationale, à peu de chose près.

Même politique nationale

Le Premier-Ministre reconduit 8 des anciens ministres soit presque la moitié de l’ancien cabinet ministériel, fait l’éloge du courage d’Alexis, des initiatives de certains ministres pour la création d’emplois et de lutte contre la pauvreté, tout cela et d’autres appréciations sont démentis par les émeutes populaires. Dans les priorités elle dit : « Le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la pauvreté (5DSNCRP), finalisé, en novembre 2007 et validé par le gouvernement sortant constitue le document de référence en matière de croissance et de réduction de la pauvreté ». Il y aura certains ajustements à faire. Ce document concocté par l’étranger est rejeté par le secteur populaire. Le Premier-Ministre Pierre-Louis ne cache pas ses allégeances : « la majorité fonctionnelle à la Chambre des Députés qui avait accordé un vote de confiance à Alexis et qui l’a ratifiée à une très grande majorité, je veux m’appuyer sur elle pour diriger au mieux les affaires de l’Etat et les partis politiques qui l’ont appuyée. » En récompense, elle promet « d’établir les conditions de financement public d’un parti politique et, finalement, d’inscrire les partis politiques au budget national. » (C’est nous qui soulignons). Nous refusons de croire à l’absurdité de partis politiques émargeant au budget national et à un tel gaspillage des maigres fonds publics . Nous souhaitons nous tromper sur l’interprétation du texte.

Même politique internationale

Le nouveau gouvernement compte sur les mêmes bailleurs de fonds et les mêmes organisations étrangères qui sont les instruments de la politique de privatisation et de globalisation des Etats-Unis et des pays européens qui imposent le système néolibéral. Un système qui a détruit notre économie et celle de la plupart des pays en voie de développement mais garantissant la plus grande partie des dépenses du budget national. Pris dans un tel écrou, comment notre pays va-t-il s’en sortir sans une révolution ?

Conclusion

Nous pensons que plus que tout autre candidat le Premier-Ministre Michèle Duvivier Pierre-Louis offre une petite lueur d’espoir et qu’on doit lui accorder un appui-critique et attendre la mise en exécution de sa politique pour un jugement objectif et non partisan. Dans l’intervalle, il faut ensemble se consacrer à l’immense tâche de porter un secours immédiat à nos sinistrés aux abois. D’ailleurs, la répartition des fonds de secours et la distribution de l’aide alimentaire aux régions éprouvées ainsi que la préparation et les priorités du budget national ne vont pas tarder à donner une idée liminaire de la capacité de gestion et du degré de transparence du nouveau gouvernement.

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Notes



[1] Professeur émérite, City College, New York

[2] Leslie J. R.Péan, Haiti, économie politique de la corruption Tome IV L’ensauvagement macoute et ses conséquences 1957-1990. Paris : Maisonneuve & Larose.

[3] Ibidem

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