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Haïti, une malédiction prévisible

Libération
CHRISTIAN LOSSON
QUOTIDIEN : mardi 9 septembre 2008
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Cyclones. Les déforestations et l’incurie chronique de l’Etat aggravent l’impact des tempêtes.

De tempêtes tropicales en cyclones dévastateurs, Haïti se retrouve dans l’œil des dépressions. Après le passage de quatre d’entre eux en moins de trois semaines (Fay, Gustav, Hanna et Ike), le pays le plus pauvre du continent américain y a laissé le plus lourd tribu. Au moins 600 morts, des milliers de sans-abri, sans eau potable ni nourriture. Plus d’un million des 8,5 millions d’habitants sont sinistrés.

Epicentre de l’urgence : Gonaïves, à 152 kilomètres, au nord de Port-au-Prince. «La moitié de la ville de 100 000 habitants est sous l’eau, raconte Massimiliano Cosci, de l’organisation Médecins sans frontières (MSF), présent sur place. On redoute une épidémie de dysenterie si les gens se mettent à boire l’eau contaminée par les cadavres humains ou animaux.» La ville est coupée du monde. Seuls les hélicoptères de la Minustah, la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti, survolent la zone. L’ultime voie d’accès routier n’a pas résisté à Ike : un pont s’est effondré ce week-end, tuant 20 personnes à Cabaret.

Galettes de terre. La vallée, où se trouvent rizières et cultures, ressemble à un lac sans fin. «Déjà déliquescentes, les infrastructures ont volé en éclat, résume Volny Paultre, agronome. Impossible, désormais, de porter secours aux sinistrés des Gonaïves et surtout, aux paysans alentour.» Les rares témoins disent tous la même tragédie. Habitants recroquevillés sur des toits, enfants affamés nourris aux galettes de terre, cadavres encore envasés. «L’alarme n’a pas fonctionné pour le cyclone Hanna, qui, en plus, est arrivé dans la nuit», rappelle Cosci, qui a ouvert un dispensaire de chirurgie après l’inondation et la mise hors d’usage du seul hôpital.

«C’est la malédiction pour notre ville, déjà traumatisée par le cyclone Jeanne, 3 000 morts en 2004», se lamente Gary Talleyrand, un ingénieur de Gonaïves. Si malédiction il y a, c’est d’abord celle du mal-développement. Une malédiction plus humaine que naturelle. «La lutte contre la déforestation est la priorité numéro 1 du pays», confie à Libération (lire l’entretien sur Libération.fr) Joël Boutroue, coordinateur de l’aide de l’ONU à Haïti. Avec ses moins de 2 % de couverture végétale et ses deux tiers de territoires montagneux, le pays tient du caillou. Sur lequel ruissellent des torrents d’eaux boueuses. «Les colons français ont défriché pour y planter de la canne à sucre, du coton et du café, racontait en 2007 Jean-Marie Vanden Wouver, du Bureau international du travail (Libération du 28 décembre 2007). Puis, sous l’occupation américaine, de 1915 à 1934, la couverture est passée de 60 à 21 %.» Depuis, la déforestation, par une population vivant à 70 % sous le seuil de pauvreté et contrainte de se chauffer et de cuire ses repas avec du bois, a fait le reste. «Délaissés par un pouvoir corrompu et impuissant, les Haïtiens sont livrés à eux-mêmes, soupire Volny Paultre. Alors, ils cultivent où il ne faudrait pas. Ils déboisent quand il ne faudrait pas.»

«Priorités». En 2004, le Premier ministre Gérard Latortue jurait pourtant : «Tant que l’on n’aura pas reboisé, tous les deux, trois ou quatre ans, après de fortes pluies, la même chose se reproduira.» Trois ans plus tard, son successeur, Jacques Edouard Alexis, estimait : «Le drame, c’est qu’il n’y a pas d’Etat. Et trop de priorités. Ce qu’il manque, c’est de la stabilité démocratique.» Alexis a été destitué en avril, lors des émeutes de la faim, dans un pays où 80 % des importations sont alimentaires. Le budget du ministère de l’Environnement, lui, n’a pas changé : 4 millions de dollars. La nouvelle chef du gouvernement, Michèle Pierre-Louis, a lancé dimanche un nouvel appel à l’aide internationale. Hier, la Commission européenne a débloqué 2 millions d’euros.

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