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La secrète condamnation

Le Nouvelliste / 12 Septembre 2008

Vous trouverez ce phénomène si vous allez aux Anglais dans le Sud, à certains endroits dans le Nord aussi comme Marmelade, Petite-Rivière de l'Artibonite. C'est notre façon en Haïti de traiter la justice, car la majorité de la population n'est pas protégée par la PNH, vu le nombre réduit de policiers affectés aux communautés par rapport aux populations. Ce n'est pas les autorités policières qui sécurisent la population, mais la police traditionnelle qu'on appelle les « Champwèl », un groupe spécial qui s'appelait « Chanmpwaya » du temps des Indiens d'Amérique; nous avons aussi d'autres qui sont des Africains qu'on appelait « Bizango ». L'Ati national, Max Beauvoir, fait le point.

Clairvius Narcisse assis près de sa tombe, il était "revenu à la vie" en 1983

Eunide Lazare enterrée, retrouvée récemment au marché de Pétion-Ville

Max E. Beauvoir, l'Ati national éclaire nos lanternes sur le phénomène zombi

Le Nouvelliste:Comment peut-on définir le phénomène de la zombification ?

Max Beauvoir:Un zombi est une personne comme toutes les personnes, qui a son corps, mais possède une panoplie d'esprits qu'on appelle « nam » dans laquelle on trouve le « gros bon ange», le « petit bon ange », le « nam », les étoiles et les loas. Il y a les loas de la famille du côté maternel et ceux du côté paternel et tout cela rentre dans la composition de ce qu'est la personne. De tous ces esprits, il y en a un qui est tout à fait particulier qu'on appelle le « petit bon ange ». Le petit bon est une partie spirituelle qui aide la personne à comprendre ce qui l'entoure, à savoir qui il est, qui lui apporte la connaissance, c'est une partie divine qui vient directement de Dieu , car tout le monde a cela. A un certain moment, pour une raison ou une autre, on va l'enlever de la personne de façon permanente. Cela veut dire que le « petit bon ange est sortie de la personne sans pouvoir revenir. Alors, on appelle zombi, le corps avec tous les autres esprits ou encore le « petit bon ange » tout seul.

LN : Quelles sont les causes de la zombification ?

MB: On doit comprendre d'abord que le mal existe et qu'il y a de bonnes et de mauvaises gens. Beaucoup de gens sont mauvais dans le monde, ils commettent des actions qui sont répréhensibles pour la société. Quand quelqu'un sort dans la rue pour voler un cabri ou des bananes au marché, ce n'est pas tellement grave, mais une personne méchante peut faire du tort non seulement à elle-même, à sa famille, mais aussi à toute la société parce qu'elle est méchante. On peut arrêter et freiner les mauvaises actions de cette personne. Il y a, en réalité chez nous, ce que vous devriez savoir. Il existe deux sociétés : une société qui se veut chrétienne, religieuse, catholique qui suit les préceptes des religions chrétiennes et une société qui ne suit pas ces mêmes principes. Elle suit les principes traditionnels et possède sa propre notion du bien et du mal. Naturellement, quand on retrouve une personne qui a un penchant à faire du mal on l'arrête, ce qui est différent des principes du monde occidental qui emprisonne la personne pour un certain temps. Pour nous vodouisants, en retirant le « petit bon ange » de la personne, on lui enlève le penchant à faire du mal. Donc cette personne qui devient zombi ne peut plus faire du mal et c'est une façon de la corriger de ces mauvaises tendances. C'est pour cela que l'on fait des zombis.

LN: Comment cela se fait ?

MB: Dans le vaudou, nous avons ce qu'on appelle « la société », incluant la majeure partie des Haïtiens. Elle est vaste avec ses normes du bien et du mal. Quand on reconnaît le mal d'une personne, un tribunal est institué et souvent les membres même de la famille de l'individu en question font partie de cette cour de justice. A ce moment on fait venir la personne pour le juger afin qu'elle puisse cesser de faire du mal. Si elle persiste, on la fera devenir un zombi en ôtant son « petit bon ange ». C'est une façon très pratique, et je pense que c'est très bien, en particulier en Haïti, bien que notre système de justice ne soit pas très articulé. Mais aux Etats-Unis, au Canada et en France, ils font venir la personne et jugent cet individu. Dans ces jugements il y a toujours un verdict; ils condamnent le coupable soit a perpétuité ou a mort. Dans le vaudou, on pense que la vie doit être respectée. On ne retire pas la vie de l'individu, on rend la personne dans un état et ce sont les autres qui doivent la nourrir afin quelle ne continue à être animée de mauvaises tendances. Il faut comprendre que dans les milieux occidentaux le mal s'exécute avec des revolvers et des fusils. Donc, au lieu de condamner la personne à mort par chaise électrique, on retire tout simplement la partie spirituelle qui vous rend méchant et, des fois, très méchant. En principe, on extrait la personne de sa société. Elle devrait d'abord être ensevelie, car on la met dans un état de mort. Les médecins ne peuvent rien voir. Des fois, on envoie le sujet à la morgue. On la met dans un cercueil et on organise les funérailles. Cette personne n'est plus membre d'une famille, car elle part définitivement. On la remet à une autre famille. A ce moment-là, elle devient un zombi.

LN: La personne zombifiée est-elle souvent fautive ou peut-elle être zombifiée innocemment ?

MB: Non. Il y a toujours un jugement, d'une part, et, d'autre part, il faut qu'il soit prononcé à l'unanimité. Si une personne du tribunal dit « non », eh bien! cette personne ne sera pas condamnée! Par exemple : le phénomène zombi fut révélé dans les années 80. Clairvius Narcisse, de la région de Petite-Rivière de l'Artibonite, a été reconnu comme zombi, car, vu sa notoriété, beaucoup de gens ont été à ses funérailles. Un jour, on l'a retrouvé à l'intérieur d'un marché. Certaines personnes l'ont reconnu et puis comme ça il est devenu un « zombi savane». Sa soeur l'ayant vu l'avait emmené chez elle. Quelque temps après, l'ambassade américaine partit avec lui pour des visites scientifiques à toutes les universités américaines, pour raconter l'histoire de la zombification. Il s'est remarié. Clairvius Narcisse est passé de vie à trépas après quelques dizaine d'années.

Il faut savoir qu'un zombi ne peut plus gagner sa vie. Quand vous avez été condamné zombi, il n'y a aucun moyen de gagner sa vie. Vous ne deviendrez qu'un mendiant.

LN: A l'exemple du code pénal haïtien, y a-t-il une durée de zombification pour chaque personne ?

MB: La zombification est éternelle, c'est une condamnation à vie, il n'y pas de durée pour ça. Il arrive dès fois que des zombis se sauvent, ils vont dans les rues pour mendier et, comme ça, ils peuvent reconnaître une personne qu'il les connaissait avant et qui peut les ramener chez eux. Une fois zombi, on est condamné à ne plus pouvoir agir de sa propre volonté, ni faire du mal aux gens.

LN: Dans quelle région géographique du pays pratique-t-on plus intensément le phénomène de la zombification ?

MB: Vous allez trouver ça dans toute l'Afrique. Les Haïtiens n'ont rien inventé, c'est de notre culture. On peut faire du mal n'importe où; en général, c'est dans tous les départements géographiques du pays. Mais il y a des zones où on garde mieux les gens en isolement. Vous trouverez ce phénomène si vous allez aux Anglais dans le Sud, à certains endroits dans le Nord aussi, comme Marmelade, Petite-Rivière de l'Artibonite. C'est notre façon en Haïti de traiter la justice, car la majorité de la population n'est pas protégée par la PNH, vu le nombre restreint de policiers affectés aux communautés par rapport aux populations. Ce n'est pas les autorités policières qui sécurisent la population, mais la police traditionnelle qu'on appelle les « Champwèl », un groupe spécial qui s'appelait « Chanmpwaya » du temps des Indiens d'Amérique; nous avons aussi d'autres qui sont des Africains qu'on appelait « Bizango ». Ce sont eux qui ont le pouvoir de jouer le vrai rôle de policier et aussi de faire régner la justice en protégeant les enfants, les gens faibles, etc.

LN: La zombification est-elle un phénomène de sorcellerie ou de rituel vaudou ?

MB: Quand on dit sorcellerie, on lance une insulte aux vodouisants, enfants de petite Guinée que nous sommes. Ce sont des mots qui ont été inventés par le monde occidental, particulièrement les prêtres. Ce sont des mots fabriqués pour nous insulter, c'est un rituel. Oui, il existe un rituel. Les rituels consistent d'abord à convoquer l'individu. Lui reprochant ce qui n'est bien. S'il continue à le faire, s'il insiste, il va passer par un rituel de jugement. On le fait venir, on convoque la société. C'est un groupe de gens qui le connaît, qui va parler en sa faveur ou contre lui. Finalement, il y a le jugement et la condamnation. Cette dernière n'arrive que si on a une histoire de majorité ou de totalité. C'est tout le monde qui doit dire « oui ».

LN: Avez-vous des informations que les colons blancs utilisaient cette perte de personnalité pour avoir de meilleur rendement dans les champs de canne à sucre?

MB: Les colons blancs n'utilisaient pas ce procédé de la zombification. Ils n'auraient pas pu reconnaître les principes de la zombification. Ils étaient contre le fait même de reconnaître une quelconque force humaine de l'esclave. L'esclave pour eux, c'était rien; il était là simplement pour travailler à mort. En principe, on dit que l'esclave vivait de trois à cinq ans. On le ruinait totalement sur le plan physique. On ne le laissait même pas enfanter. On achetait d'autres esclaves pour les remplacer. C'est comme ça, Haïti a pu voir vingt millions d'Africains. Beaucoup ont laissé leur peau Heureusement, ils n'ont pas tous laissé leur peau, parce que les autres sont restés et sont devenus votre grand-père et le mien, nos grand-mères aussi. Ainsi nous avons pu prospérer, car nous étions quatre cent quarante mille en 1804 et maintenant nous sommes environ huit millions et demie.

LN: Une personne revenue de cette expérience peut-elle être récupérée normalement ?

MB: Non, c'est la raison pour laquelle on l'appelle un « zombi savane » parce que vraiment son petit bon ange, il ne peut pas l'avoir. Ce qui rend une personne normale, c'est le fait par elle de pouvoir faire ce qu'elle veut, employer sa propre vision, ce sont là des exercices du petit bon ange. Si vous ne le détenez pas, vous ne pouvez pas exercer votre volonté. Vous ne pouvez même pas être un esclave, comme certaines personnes le disent a tort. Puisqu'il ne va pas prendre cette feuille tout seul, il faut dire: prenez la feuille et donnez-la moi. De son propre chef, il n'est pas capable de le faire. Même pour manger, il faut lui dire « mangez », sinon elle va rester là, devant l'assiette en réfléchissant pendant longtemps, sans pouvoir prendre la cuillère pour la porter à sa bouche parce qu'un zombi n'a pas la volonté. Car souvent l'exercice de la volonté, c'est ce qui est fondamental. Quand Dieu nous a créés, il nous a donné deux choses: la vie, d'une part, et, d'autre part, un corps. Et, naturellement, c'est ce que nous disons : que les gens ne devrait pas embêter l'ennemi, personne ne devrait vous embêter, à nuire votre volonté. Vous êtes capables de faire ce que vous voulez, et vous avez la vie, que personne n'a le droit d'ôter. C'est votre vie, c'est a vous, c'est le Bon Dieu qui vous l'a donnée. Ce n'est ni votre père ni votre mère. La liberté et la volonté, c'est la même chose. Et on doit les respecter dans tous les pays. Ce sont, autrement, les libertés inaliénables.

LN: Pourquoi le sel joue-t-il un rôle très important dans le réveil d'une personne victime de ce phénomène ?

MB: Le sel est très important. L'esprit est volatile parce que ce n'est pas quelque chose qu'on peut voir, c'est immatériel. C'est comme le souffle, le vent qui passe. Mais d'un autre côté, on peut forcer un peu de vent à se sédentariser, comme on dit, avec le sel. Et de là, l'esprit peut agir. Le sel donne vraiment l'esprit libre. Il peut faire beaucoup de chose, puisque c'est le sel qui maintient la vie. On a besoin de sel pour vivre. Si vous et moi n'avons plus de sel, nous ne pourrons pas vivre. Heureusement, il y a dans l'air, dans l'eau, dans la mer, partout...

LN: Y a-t-il, selon vous, une étude mieux appropriée pour traiter une personne zombifiée?

MB: Non. Il y a des gens qui se sont penchés là-dessus. En 1983, il y a eu un Américain de l'Université Harvard, qui est venu en Haïti pour étudier la zombification. Il a publié un livre intitulé « Le serpent et l'arc-en-ciel », il a fait sa thèse de doctorat avec, tout le monde s'est mis ensemble pour ce travail. Il y avait les membres de l'université d'Oxford de l'Angleterre, de Canada, de Montréal et de Carolinesca Institute de Suède. Beaucoup de gens avaient travaillé, des japonais y ont pris part aussi. Mais est-ce qu'ils ont trouvé une façon, de changer le processus de zombification? Je ne crois pas. Remarquez que le travail n'a pas été long (un an et demi). Mais ensemble, ils ont montré que la zombification n'était pas purement un phénomène illusoire. Mais avec des travaux réalisés en 1981, on a mis en évidence le cas de Clairvius Narcisse qui avait une fille qui s'appelle « Ti fanm » qui était aussi zombi. Cependant, il y avait un centre psychiatrique qui faisait à cette époque une étude. Je ne crois pas qu'ils soient arrivés à changer ce processus. Ils ont recherché ce qu'on appelle quelque chose de matériel, une poudre de zombi. Quand on parle de la science on voit quelque chose de purement matériel. On fait beaucoup de choses avec. On va dans la lune, on fait beaucoup de trucs, mais il y a beaucoup de choses qu'on ne sait pas faire aussi. En ce qui a trait aux choses spirituelles, c'est zéro. Et je suis bien placé pour le dire parce que j'étais diabétique, il n'y pas longtemps. C'est fini maintenant, pas avec la science, mais avec les principes rituels du vaudou. La spiritualité, c'est l'esprit immatériel.

LN: Que pensez-vous des personnes zombifiées retrouvées défigurées et leurs corps maculés de coups de fouet ?

MB: Parce qu'il y a des gens qui sont méchants, pas forcément loin de vous-même. Cela peut être près de vous, ça peut être votre femme, votre mère ou votre père en vous donnant de mauvais coup ,même si vous êtes de leur sang. Moi personnellement, je crois que la majorité des gens sont méchants...

LN: Est-ce qu'on peut identifier le phénomène de la zombification chez les prostitués drogués dans les boîtes de nuit favorisant leur bon fonctionnement ?

MB: Non, on peut les droguer, mais c'est différent. Un zombi n'a pas de volonté. J'ai vu des zombis, j'ai parlé avec beaucoup de zombis, j'ai interviewé des zombis. Certains disent qu'on utilise les zombis pour cultiver les champs. Ce n'est pas possible, car ils ne peuvent prendre aucune initiative. Si on n'a pas de volonté, que peut-on faire ? Ils ne peuvent pas être travailleurs, aller danser comme un « strip-tease » dans un bar, car pour danser, il faut qu'il y ait un feeling .Le zombi perd tout sentiment.

Propos recueillis par
Amos Cincir
mcincir@lenouvelliste.com
et Angie Marie Beeline Joseph
jbeeline@gmail.com

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