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« La FOKAL n'est pas au gouvernement »

Le Nouvellite / 12 Septembre 2008

Le Nouvelliste a la primeur d'une entrevue avec la nouvelle directrice de la FOKAL (Fondasyon konesans ak libète), Madame Lorraine Mangonès. La fille d'Albert Mangonès, le célèbre architecte et sculpteur du Marron inconnu, parle en toute franchise de la mission de l'institution qu'elle dirige, des responsabilités ponctuelles en regard de la conjoncture des intempéries, des projets en cours de réalisation. Détendue et souriante, elle nous a reçus à son bureau pour nous indiquer des pistes de continuité dans l'institution, mais, surtout, le style nouveau qu'elle compte imprimer à la Fondation.
Madame Lorraine Mangonès: la nouvelle directrice de la FOKAL (Fondasyon konesans Ak Libète).
(Photo: Dominique Domerçant)

Immeuble de la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL)
(Photo: Francis Concite)
Madame Lorraine Mangonès: la nouvelle directrice de la FOKAL (Fondasyon konesans Ak Libète).
(Photo: Dominique Domerçant)
Le Nouvelliste: On sait que la Fokal est la première institution à soutenir financièrement le secteur culturel haïtien. Comment avec la nomination de Mme Michèle Duvivier Pierre-Louis, l'ex-directrice, à la Primature, la Fokal va continuer à assumer ses responsabilités dans le support des activités culturelles ?

Loraine Mangonès (L.M.) : La Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL), créée en 1995 et reconnue d'utilité publique depuis 2000, est une organisation haïtienne soutenue par Open Society Institute et par d'autres institutions internationales ou locales. La Fokal a fait le choix d'appuyer les secteurs de la société porteurs de changement. Donc, la Fokal participe, soutient le secteur culturel et s'engage dans beaucoup d'autres activités : dans l'adduction d'eau, dans l'aide aux communauté rurales, dans l'éducation, dans l'aide à la structuration de la société civile, et ce, depuis sa création en 1995. Ces informations sont disponibles sur l'internet, sur le site de la Fokal, dans la brochure de l'institution et dans plusieurs articles publiés dans Le Nouvelliste.

Fokal n'est pas simplement une institution qui aide financièrement le secteur culturel, c'est une institution qui, très modestement, mais très sérieusement, prend son rôle citoyen au sérieux dans ce pays et à essayer, patiemment depuis 1995, d'aider à construire la démocratie en Haïti avec tous les partenaires qu'on a pu trouver, et en choisissant des secteurs de la société qui nous semblent porteurs de changement, donc les enfants à travers l'éducation, les jeunes à travers un appui aux études universitaires localement. Une aide aussi à la société civile, particulièrement aux secteurs porteurs de changement, notamment les femmes, les handicapés, les jeunes, les associations paysannes, on a toujours aidé ces secteurs. C'est une institutions qui s'est donné pour mission de promouvoir les structures nécessaires à l'établissement d'une société démocratique, juste et solidaire basée sur l'autonomie et la responsabilité individuelle et collective. Elle favorise l'autonomie de l'individu, le développement de l'esprit critique, le sens de la responsabilité, l'initiative, la créativité et la coopération. À travers l'éducation, la formation et la communication. Et puis de renforcer les processus organisationnels par lesquels s'exerce l'esprit critique et se développent l'apprentissage, le partage et la confrontation des savoirs au sein des groupes, en vue d'une participation active à la gestion démocratique de la chose publique et d'épanouissement de la vie associative, sociale et culturelle.

LN: Quels sont les champs d'intervention de la Fokal?

L.M.: Ce centre, c'est un espace qui incarne la mission de la Fokal. Les choses qu'on fait ici, ont à voir avec la mission de la Fokal. A travers une bibliothèque qui est ouverte pour les jeunes, un cybercafé qui donne accès à la connaissance, des espaces de rencontres, de jeux, des salles de formation, des espaces d'expositions, de débats et de conférences. On a également un programme bibliothèque et un programme de débats pour les jeunes dans le but de favoriser l'accès à la connaissance et à l'information, on a un programme d'agriculture, comme pour le Festival des quatre chemins, on essaie d'encourager la créativité et la participation des artistes à la chose publique. Investir dans la connaissance pour libérer l'homme, donc on a beaucoup travailler dans le domaine de l'éducation (préscolaire -primaire), et ceci, dans les régions défavorisées du pays. On a travaillé dans la structuration de comités d'eau pour l'adduction et la gestion d'eau dans les communautés rurales. Maintenant, on a des projets spéciaux, qui ont commencé depuis l'année dernière à Martissant et à Labadie, dans le nord. Là, on essaie avec d'autres partenaires de travailler dans l'urbain, dans la structuration de l'espace de la ville en collaboration avec les résidents.

L.N.: Nous savons que la Fokal a toujours défendu l'application d'une politique culturelle par le gouvernement. Aura-t-on l'occasion de voir concrétiser ce rêve ?

L.M.: La Fokal n'est pas au gouvernement. Je suis la nouvelle directrice de la Fokal, je ne suis pas au gouvernement, je ne peux pas parler en son nom. La Fokal fait partie d'une initiative du secteur culturel, nous avons travaillé depuis 2004 avec un ensemble d'institutions de la société civile dans le domaine des arts et de la culture et nous avons présenté des revendications au gouvernement, nous demandons au ministère de la Culture de collaborer avec le secteur culturel du pays pour essayer d'élaborer des politiques culturelles qui seraient plus en mesure de mieux s'exprimer au niveau national. Car la culture, c'est peut-être la meilleure carte de visite de notre pays. A partir du moment où quelqu'un de la Fokal travaille dans le gouvernement, il va tout de suite essayer de défendre les valeurs en quoi il croit. Mais la personne rentre dans une autre structure. Et là, je ne peux pas parler pour elle. Madame Michèle Duvivier Pierre-Louis n'est plus directrice de la Fokal, elle est Premier ministre, j'apprécierais que cela soit clair.

L.N.: Alors je compte peut-être m'orienter dans ce sens au niveau d'un document, à savoir comment la Fokal va engager des démarches pour faire des suivis dans le cadre de ce document, présenté par M. Eddy Lubin. Comment voyez-vous ce document et sa mise en application?

L.M.: Je vous réfère aux cahiers de charges. Ce que nous essayons de faire ensemble, c'était d'abord de voir qu'on était dans la culture. Donc, on a essayé de faire un peu l'état des lieux, question de voir ce qu'on avait comme capacité au niveau des bibliothèques centres culturels, théâtre, histoire et patrimoine, arts plastiques.

L.N.: Vous en avez fait un inventaire ?

L.M: On n'a pas fait un inventaire. On était réuni ensemble, on a voulu dire voilà dans quel secteur on se situe en identifiant les forces, faiblesses et perspectives de ce secteur. C'est très important dans les cahiers de charges de dire qu'il nous a paru important de commercer par énoncer les attentes que nous, institutions culturelles, avons vis-à-vis de nous même..... Parce qu'avant de revendiquer devant l'Etat, il faut être capable de se regarder soi-même, de voir ce qu'on peut faire pour nous-même. Il est pour nous essentiel de chaque secteur d'identifier ses objectifs, de travailler à sa propre structuration et de faire l'apprentissage du mouvement associatif. C'est d'abord nous-mêmes, citoyens haïtiens, ensuite artistes, enfin responsables des centres du secteur culturel. Comment est-ce qu'on s'organise nous, se soutenir et défendre des intérêts communs? Il y a une très forte exigence dans ce texte qui date de 2005. Parce qu'il y a une éthique dans l'art, on ne fait pas n'importe quoi, et quand les gens font des choses qui ne sont pas correctes, il doit y avoir à l'intérieur de la profession une manière de gérer cela. Retournons au ministère de la Culture, à l'instar du ministère à la Condition féminine qui a fait appel au secteur des droits de la femme, demandant leur soutien dans la restructuration et dans la définition de la mission du ministère, le ministère de la Culture devait faire autant. On souhaiterait que le ministère de la culture nous appelle de la même manière, pour essayer de définir les grandes lignes de sa politique culturelle, d'identifier les problèmes auxquels est confronté le ministère. On est dans le secteur culturel, le ministère de la Culture est le nôtre. Tout comme la Fokal s'implique au niveau des bibliothèques de proximité, on soutient environ 35 bibliothèques à travers le pays, quand il y a une Direction nationale du livre, cela doit être ma direction.

L.N.: Devant les dégâts causés par les catastrophes naturelles. Ne pensez-vous que la culture haïtienne a subi un grand choc?

L.M.: Vous savez, le secteur culturel fait partie du pays. Le pays est dans une situation terrible, certainement le secteur est affecté comme tous les autres secteurs. Vous savez ce qui est arrivé à Mme Colette Pérodin par exemple, qui dirige la Fondation Culture et Création. La responsabilité de chacun est d'essayer de tout notre coeur et avec tout notre intelligence de faire ce que nous savons faire, le mieux possible. Actuellement, les responsables du programme bibliothèque essayent d'entrer en contact avec les bibliothèques pour répertorier les dommages, s'informer de la situation dans laquelle elles se trouvent. Il y a des bibliothèques qui sont difficiles d'accès, la bibliothèque des Chardonnières par exemple, avec la côte Sud est dévastée par les cyclones, aussi la bibliothèque de Martissant. C'est un test pour nous tous Haïtiens, de voir de quoi on est capable quand ça va mal.

L.N.: La Fokal intervient dans différents secteurs, est ce que la fondation possède des moyens nécessaires pour apporter d'une manière ou d'une autre de l'aide aux personnes sinistrées ?

LM.: Depuis les catastrophes naturelles, on réfléchit à la Fokal sur ce qu'on peut faire en accord avec notre mission. Est-ce qu'on va, par exemple, dire que la Fokal peut collecter des vêtements, de la nourriture pour aller apporter aux gens. Parce que cela ne rentre pas dans nos champs d'intervention. Encore une fois, Colette par exemple, je suis sûre que sur le plan individuel ou collectif, on va essayer de voir ensemble comment on pourra se solidariser avec elle dans ce moment difficile.

L.N.: La Fondation aura-t-elle une autre orientation sous votre direction ou conservera-t-elle la même politique culturelle ?

L.M.: La Fokal n'aura pas une autre orientation, en ce sens qu'il va continuer à appliquer nos programmes et être fidèle à sa mission. Maintenant, en regard de la personne qui dirige, il y a des différences de style, de personnalité.

L.N.: Quels sont les grands projets de la Fokal pour les trois prochaines années (continuité et nouveauté) ?

L.M.: Vous savez, qu'il y a le centre culturel et ses activités, le Festival « quatre chemins », les conférences, les concerts, les débats, toutes ces activités continuent,... On va essayer de rester à l'écoute de la jeunesse, les orienter de la meilleure manière qu'on peut. En termes de grand projet actuellement, le grand défi, c'est le projet du Parc de Martissant, précisément « L'habitation Leclerc », une zone que l'Etat a déclaré d'utilité publique pour la préservation de l'environnement. La Fokal a le contrat de créer ce parc.

Propos recueillis par:
Angie Marie Beeline Joseph
jbeeline@gmail.com
et Dominique Domerçant
dominique@domercant.com

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