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Haiti/Cyclones : L’empire de l’eau

AlterPresse
vendredi 19 septembre 2008
Par Jean-Claude Bajeux



Les jours de “Haïti chérie” semblent bien révolus et bien des refrains du romantisme haïtien, même « Choucoune » font mal à entendre ou à chantonner, après les trois ouragans qui ont frappé le pays, tout le pays. Il semblerait que ce qui est arrivé à Gonaïves, il y a quatre ans, exactement, n’était qu’un avertissement, comme une répétition générale de désastres à suivre. Cette fois-ci, c’est littéralement le ciel qui nous tombait sur la tête aux quatre coins du pays, coupant les routes, emportant des ponts et rendant quasi impossible, pendant des jours, d’aider ceux qui étaient pris par les eaux, les victimes, les prisonniers de l’eau.

Dans les journaux, les radios, les écrans de télévision, ce que nous percevons, c’est beaucoup plus qu’une catastrophe nationale. C’est la catastrophe de la nation. C’est un verdict apocalyptique, concernant les responsables irresponsables, les farceurs pontifiants, les corrompus endurcis, les casseurs, nous tous sans exception. Que répondra-t-on dans trois, quatre ans quand le morne l’Hôpital se sera effondré sur Port-au-Prince ?

Pourtant, l’eau de plus en plus est classée comme une richesse qui se vend cher, qui s’évalue cher et qui a fait la fortune de grandes compagnies mondiales inscrites à la bourse. L’eau, sous toutes ses formes, salée, douce, tiède, glace ou neige est célébrée comme une bénédiction, eau lustrale dans des rites sacrés immémoriaux. Le tiers d’ile que nous occupons, avec plus d’un millier de kilomètres de côtes reçoit, de cette mer, du soleil et du vent, plus d’eau que nous ne pourrions utiliser. Et chacun de nous conserve, idéalisées, le souvenir d’heures de grâce en compagnie de cette amie de toujours, une eau, quelque part, source de bonheur.

Mais aussi, inconscients comme nous avons l’air de l’être, ignorants des secrets de cette mère du monde, l’eau, indifférente, claire ou boueuse, insidieuse ou violente est capable, nous le voyons, nous l’avons vu, nous le verrons, les larmes aux yeux, de déployer, sur nous, devant nous et tout autour de nous, une puissance de caprice et de destruction, au lieu d’être une source de bien-être. Car pour révéler ses bienfaits, elle demande un traitement spécial, d’être reçue de fa¬çon spéciale sinon elle revient au tohu-bohu originel, chaudron de désordre et d’infécondité, faisant éclater de partout les arbres, la terre, les roches, les ponts, les routes et les habitations, en route pour un rendez-vous avec la mer.

La leçon après ces passages cycloniques, tumultueux, de la violence aquatique est claire. Il nous faut répondre à ce message, pour ne pas dire cet ultimatum. Pour que l’eau soit richesse et non malédiction, il nous faut, de la source à la mer, créer les chemins de l’eau et prévoir, entre ces deux points, tous les usages possibles de l’eau pour en tirer le maximum de bénéfices, apprivoisant sa turbulence pour utiliser la variété vitale de ses services. C’est donc tout un pays qu’il nous faut aménager. Pour survivre, nous sommes acculés à accepter le défi faustien de réaliser la séparation de l’eau et de la terre, préparer les circuits qui permettent à l’eau qui tombe de retrouver les chemins de l’eau qui dort. C’est pourquoi dans un pays comme le nôtre, la première filière pour un futur libéré de nos tragédies récentes est la filière de l’eau, elle qui conduit à toutes les transformations qui répondraient aux multiples besoins de l’exister humain. Nous n’avons pas d’autre choix.

Eau qui lave, qui nourrit et alimente la vie, eau qui nettoie, eau qui ruisselle là où l’on veut qu’elle ruisselle et pas ailleurs, eau qui cuisine, l’eau, source d’énergie, l’eau qui s’allie à la terre, l’eau est une invitée qui récompense de mille façons ceux qui savent préparer sa venue. En fait un pays qui marche mal est un pays ou l’eau n’est pas où elle devrait être et ne peut faire ce qu’elle est supposée faire. Cette leçon est primordiale, que ce soit pour les pays plein de montagnes, ou pour les pays plats comme la main. Pour faire exister notre terre, il faut sur tout le parcours, de l’amont à l’aval, avoir dessiné les chemins de l’eau pour les buts précis définis par un projet national. C’est une condition sine qua non de la vie des communautés humaines. Sinon au bout du compte, on se retrouve à brasser les sables du désert ou à barboter dans les boues des marécages. Nous n’avons pas le choix. L’eau et la terre définissent pour de longues années encore le destin national, sa faillite ou sa réussite.

Voici donc que nous sommes le dos au mur, aujourd’hui, contemplant le drame. Les photos, les témoignages nous renvoient à l’image d’un échec collectif qui est bien notre échec. La solidarité à quoi personne ne peut dire non nous mènera-t-elle à de grandes déterminations ? Verrons-nous s’entrouvrir la porte pour qu’une nation se refonde, pour qu’un pays renaisse ? L’eau serait alors la filière primordiale qui ne supporte pas les petits projets, ni les dons qui n’en finissent pas, ni l’indolence calculée d’une bureaucratie, ni les contrats secrets ni les dessous de table. La terre et l’eau seraient le tissu, la matière de ce grand projet national et comme la matrice d’une nation qui surgirait hors de la honte, hors de la misère, hors de mendicité, « hors d’eau ».

Pour cela doivent fonctionner deux autres filières dont il faudra reparler qui, elles aussi, sont nécessairement convoquées, la filière du savoir, des savoir-faire, de la compétence et cette autre, la gestion, l’organisation séquentielle des actions, la volonté de gérer et de faire fonctionner l’entreprise nationale de production et de services.

A ce compte, l’eau, aurait trouvé sa finalité : une terre fertile et un peuple au travail.

17 septembre 2008

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