samedi

Bilan d'une catastrophe en Haïti

Source: CARE
Date: 19 Sep 2008

Témoignage de Loetita Raymond, auprès des victimes du cyclone Ike depuis une semaine.

Des années d'instabilité politique, des émeutes populaires sanglantes, un environnement détruit par l'homme, une population marquée par des années de privations et la faim, des ouragans qui succèdent à des cyclones et des inondations : Haïti semble marqué par le sceau d'une rare violence du fait de la nature et de l'homme. En l'espace d'un peu plus d'un mois, ce ne sont pas moins de quatre ouragans qui viennent de frapper le pays !

Ike, le dernier cyclone qui a décimé le pays, laisse derrière lui son lot de morts mais surtout de dégâts matériels d'une envergure dévastatrice.

A mon arrivée à Port au Prince toutes les équipes de CARE sont en état d'alerte. Il faut dire que depuis une semaine nous distribuons de la nourriture quotidiennement à 1200 familles, soit 6000 personnes, ce qui implique une organisation et une logistique de taille quand on sait les difficultés auxquelles les équipes locales doivent faire face. La quasi-totalité du réseau routier est coupé. Les voix d'accès terrestres aux principales zones sinistrées inaccessibles. Arrivée à Port au Prince vendredi, il me faudra attendre mardi avant de me rendre à Gonaïves…par hélicoptère. Heureusement, des équipes sont en place grâce au bureau de CARE qui menait déjà des projets dans la région.

Le cyclone est passé depuis bientôt 15 jours faisant des dégâts qui resteront pour leur part visibles durant des années, bien plus importants que ceux laissés par les autres tempêtes. Dans un environnement totalement dégradé par des années de déforestation, les 80% du pays occupés par les « mornes », ces montagnes aux pentes prononcées, sont une véritable menace pour les plaines où elles déversent les eaux de pluies qui ont suivi la tempête.

Les villes aux infrastructures précaires, sans chaussée, traversées de routes de terre où le système d'évacuation des eaux est quasi inexistant, ont d'autant plus facilité la crue des eaux qui n'ont pu retrouver leur lit naturel. Entre 1, 8 et 3 mètres d'eau ont été notifiés sur les zones touchées.

Le bilan fait par nos équipes et les organisations partenaires est terrifiant, d'autant plus alarmant que les principaux centres vitaux du pays sont touchés, qu'il s'agisse de l'agriculture, du réseau routier ou du système de santé. Sophie Perez, Directrice de CARE Haïti, présente dans le pays depuis près de 12 ans, ne cache pas son inquiétude : « La route n'est pas encore totalement rétablie entre Port au Prince et Gonaïves. Cela complique énormément l'aide aux victimes, enclavées dans des zones sans accès à de la nourriture et privées d'eau puisque les puits sont contaminés. Bien que certaines voix d'accès se libèrent, le réseau routier déjà mal en point restera défaillant durant des mois, peut- être pire… ».

Si Sophie me raconte les victoires menées au cours de ces dernières années par CARE grâce à de nombreux projets agricoles, d'activités génératrices de revenus ou encore de sensibilisation à la citoyenneté auprès des enfants, elle ne cache pas ses craintes face à la fragilisation de tant d'efforts en quelques jours. Malgré toute sa conviction, sa volonté farouche et sa foi inébranlable d'un avenir meilleur pour le pays, le tableau qu'elle me brosse me laisse perplexe : c'est une grande partie du capital agricole qui est dévasté, non seulement les cultures mais aussi les stocks de semences, les outils perdus, les engrais, les animaux décimés. Quand on sait que 75% de la population vit de l'agriculture…

Dans un pays où 80% de la population vit avec moins de 2USD par jour, où il ne reste que 5% de la couverture végétale, où 50% de la population est analphabète, où de nombreux progrès restent à faire concernant l'accès aux biens élémentaires, où la majorité des biens de première nécessité, en l'occurrence, la majeure partie des besoins alimentaires provient des importations, dans un tel contexte structurellement difficile, se contenter de répondre à l'urgence me dit Sophie c'est « lave men, siye até», soit se laver les mains pour les essuyer à terre..ne rien faire…

Avant le cyclone, Haïti, pays le plus pauvre des Amériques, traversait l'une des crises alimentaires les plus importantes de son histoire. Une crise provoquée par la conjonction de plusieurs facteurs : hausse des produits alimentaires au niveau mondial, mauvaises récoltes agricoles au cours de l'année 2008, la multiplication par deux du prix des denrées alimentaires de base entre 2007 et 2008, conséquence de l'augmentation des prix des aliments sur le marché international. Cette situation a exacerbé l'insécurité alimentaire chronique que connaît Haïti depuis plusieurs années, vu l'insuffisance de sa production locale et sa forte dépendance aux importations. L'accessibilité aux aliments de base est devenue impossible pour une large partie de la population qui, du fait de sa pauvreté extrême, éprouvait déjà des difficultés à se nourrir. Le passage d'Ike ne pouvait que noircir un tableau déjà bien sombre.

Quand Jeanne a frappé en 2004 raconte Sophie, les anciens disaient qu'ils n'avaient rien vu de pire depuis 50 ans. 4 ans plus tard, les dégâts surpassent les précédents. Et il ne s'agit plus de mauvais présage mais plutôt de bon sens lorsqu'elle ose annoncer que l'empreinte des prochains cyclones sera à chaque fois plus ravageuse : « si cela se reproduit, et d'autres ouragans viendront toucher cette région habituée à ces intempéries climatiques, à chaque fois les conséquences seront plus dévastatrices, les populations plus fragilisées » note Sophie.

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