samedi

Favoritisme, nonchalance, irresponsabilité...

Le Nouvelliste
5 septembre 2008

Quatre ans après le passage de la tempête tropicale Jeanne sur Haïti, l'histoire a encore recommencé. Les victimes de la tempête Hanna se comptent pour le moment par centaines. Le favoritisme et la nonchalance des uns, le manque de moyen, la carence de vision et l'irresponsabilité des autres ont encore conduit le pays au bord de l'abîme. Et dire que deux autres cyclônes, Ike et Josephine, menacent à nouveau Haïti.

Une femme enceinte essayant de traverser les eaux boueuses aux Gonaïves

Vue aérienne des Gonaïves

Ce vieillard tente de sauver sa peau

Une vue aérrienne des dégâts causés par Hanna aux Gonaïves peu après son passage sur cette ville.

Des résidents des Gonaïves essayent de récupérer ce qui peut l'être encore. A lárrière-plan, un autobus emporté par les eaux en furie.


Septembre 2004-septembre 2008, quatre ans depuis le passage de la tempête tropicale Jeanne sur Haïti. Des milliers de personnes en avaient été victimes, particulièrement dans la ville des Gonaïves. Les pertes matérielles enregistrées lors n'ont jamais été réellement comptabilisées. Les pertes en vies humaines non plus. Les travaux entrepris après le passage de cette tempête ne sont jamais achevés. Selon des Gonaïviens avisés, les firmes engagées alors par le gouvernement du Premier ministre Gérard Latortue n'étaient pas à la hauteur. Leur engagement, selon les mêmes sources, a été effectué sur la base de népotisme ... et de leur allégeance au gouvernement d'alors.

Des millions de dollars ont été promis tant par des organisations internationales et philanthropiques que par des gouvernements de pays dits amis d'Haïti. Une bonne partie de cet argent a été débloqué par les bailleurs; mais à regarder la ville des Gonaïves en cet été 2008, le constat est alarmant. Les infrastructures existantes donnent encore l'aspect de celles de la période coloniale. Les rues sont défoncées, les canaux d'évacuation des eaux usées ne sont pas curés. Par endroits, on trouve des monticules de sable et autres matériaux abandonnés par les « firmes » qui étaient à l'oeuvre dans la ville.

En avril 2008, certaines autorités locales, des représentants de l'administration centrale et des responsables d'organisations non gouvernementales et humanitaires oeuvrant aux Gonaïves ont eu des rencontres, en vue de poser les problèmes auxquels la ville est confrontée et pour faire face à la saison pluvieuse.

Au cours de ces rencontres, qui visaient, notamment, à diminuer les risques et la vulnérabilité de la ville et à faciliter l'accès de la population aux denrées alimentaires, les participants s'étaient engagés à poursuivre leurs pourparlers en vue de parvenir à des propositions concrètes. Mais propositions concrètes, il n'y en a jamais eues, sinon elles n'ont jamais été exécutées. Entre-temps, la situation a empiré.

L'oeil du doyen de la presse haïtienne

Au début de la saison pluvieuse et à l'approche de la saison cyclonique, en avril dernier, Le Nouvelliste avait attiré l'attention sur les risques auxquels sont exposés les habitants des Gonaïves.

Récemment, certaines rues des Gonaïves ont été ironiquement comparées à d'autres de la ville de Venise (Italie), par Le Nouvelliste, au regard de la situation dans laquelle se trouvait la Cité de l'Indépendance, en vue d'attirer l'attention des autorités sur l'urgente nécessité de voler au secours de cette population estimée à plus de 264000 âmes qui, depuis Jeanne, est sur le qui-vive. Car à chaque averse, toutes les institutions chôment, les écoles renvoient les élèves et les habitants des zones à risques abandonnent leurs pénates pour se réfugier sur les montagnes dénudées entourant la ville. En attendant, aucune évaluation psychologique ou psychosociale n'a été faite de cette nouvelle mentalité développée par une population livrée à elle-même.

En 2004, quatre firmes ont été engagées par l'Etat haïtien pour les travaux aux Gonaïves. Deux d'entre elles ont honoré leur part de contrat. Selon Rigaud Fils Pasteur, président du Comité de Support à la Ville des Gonaïves (COSUVIGO), les firmes engagées l'auraient été sur une base de copinage et n'auraient ni la capacité technique, ni l'expertise, ni les compétences nécessaires à la réalisation des travaux. Mais elles l'ont quand même été.

Quatre ans après, cette ville martyre, baptisée Cité de l'Indépendance, est à nouveau frappée par une autre intempérie, Hanna, et les pertes matérielles et en vies humaines sont à nouveau incalculables. Le dernier bilan, encore partiel, avoisines les 200 cadavres à l'échelle nationale, dont 102 dans le département de l'Artibonite dont la ville des Gonaïves est le chef-lieu, selon le responsable de la protection civile. D'un autre côté, le chef de la police des Gonaïves cité par France 24 a fait état de 495 cadavres dans la seule ville des Gonaïves.

Ce bilan provisoire fait état également de 9156 personnes hébergées dans des abris provisoires, dont 1767 dans le département de l'Artibonite, chiffres n'incluant pas les hébergés de la ville des Gonaïves qui reste la ville la plus touchée de l'ensemble du pays.

Dénuement, impréparation et aide humanitaire

Les premières images captées aux Gonaïves laissent croire que Hanna serait plus dévastatrice que Jeanne. Elles mettent aussi en exergue le dénuement des structures locales, l'impréparation de la population, le manque de vision et/ou la précarité des moyens des autorités haïtiennes à faire face à ce genre de catastrophe.

Ici, des riverains abandonnant leurs maisons à la nage, cette femme enceinte qui essaie de sortir des eaux marécageuses, ce père de famille emportant son fils visiblement fatigué après plusieurs heures passées sous la pluie sur le toit de la maison familiale. Là, des maisons ensevelies ou presque, des routes et autres infrastructures détruites, des secouristes étrangers apportant les premiers soins aux victimes : le tableau est macabre.

Déjà, les « Amis d'Haïti » sont à nouveau à son chevet. Haïti est un cas en Amérique. De l'aide en nourriture, en médicaments ... et en vêtements secs commence à venir. Des convois sont déjà arrivés à l'aéroport international de Port-au-Prince. D'autres sont en route et doivent arrivés sous peu. Déjà aussi, certains responsables d'ONG se frottent les mains, dans la perspective de nouveaux moyens « d'enrichissements licites ». Les petits rongeurs, quant à eux, se contentent des miettes tombées de la table des grands, et les victimes, les vraies, seront à nouveau victime puisque l'aide ne parvient pas toujours à qui elle est destinée. Et ainsi de suite, la vie continue, en attendant la prochaine intempérie.

En parlant de prochaine, elle n'est pas trop loin. Elles ne sont pas trop loin. Ike et Josephine, deux nouvelles tempêtes tropicales, sont en route et sur leur trajectoire, Haïti, si rien ne change. Haïti n'a pas encore fini de faire les décomptes des victimes des trois précédentes tempêtes - Fay, Gustav et Hanna - et elle est délà sous la menace de deux autres. Tout se passe comme si ces intempéries arrivaient par surprise.

Samuel BAUCICAUT
baucicaut@lenouvelliste.com




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