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«L’UE nous obligerait à signer les accords de partenariat»

L’express.mu / 12 septembre 2008

QUESTIONS A PAUL BERENGER, LEADER DE L’OPPOSITION

Le leader de l’opposition abordera vendredi prochain, lors de la «Private Notice Question», les Accords de partenariat économique complets, récemment signés par certains pays des Caraïbes avec l’Union européenne.

Paul Bérenger devant la pile de dossiers qui s’amoncellent sur son bureau. Le leader de l’opposition estime que la pression exercée par l’Union européenne sur les pays ACP devient de plus en plus forte.
● A présent que les Caraïbes, en dehors de Guyana (Guyane anglaise) et de Haïti, viennent de signer les Accords de partenariat économique (APE) complets, quelles en seront les conséquences pour les autres pays Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) ?

C’est grave. L’Union européenne (UE) pourrait maintenant obliger tous les pays ACP à signer les APE complets, maintenant que les Caraïbes sont divisées et que certains pays signent déjà. C’est injuste que l’UE, avec son armée d’experts, demande aux ACP de prendre position dans la précipitation. Je crains que nous ne puissions pas changer grand-chose. L’UE pourrait ne pas accepter que, d’un groupe à l’autre, il y ait des accords différents sur des choses fondamentales. C’est vraiment un moment crucial et très dangereux pour les pays ACP.


● Et en Afrique, qu’en est-il actuellement ?

En Afrique, les contestations sont vives, surtout au Nigeria, en Afrique du Sud et au Sénégal. Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a été jusqu’à qualifier les APE de nouvelle colonisation de l’Afrique. Quant aux pays du Pacifique, il y a un an, lorsque l’UE leur a soumis un projet d’accord, ils ont exprimé toutes leurs inquiétudes. A l’horizon, après la rencontre de Barbados, il y aura un sixième sommet des ACP qui se tiendra au Ghana. Il est très important que Maurice y soit présent. Au sommet des ministres comme à celui des chefs d’Etat. C’est très mauvais pour le pays que nous n’ayons pas, en ce moment, un ministre des Affaires étrangères.


● Dans quel climat préparons-nous la signature des APE complets ?

Rappelons d’abord que les accords entre l’UE et les ACP sont en train d’être revus. L’on estime qu’ils ne sont plus compatibles avec les nouveaux règlements de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les ACP avaient subi de terribles pressions pour signer les APE complets avant fin 2007. Mais quand tout le monde s’est rendu compte que le délai était trop court pour signer ledit accord, le commissaire européen, Peter Mandelson, a poussé à la mise en place d’Accords de partenariat économique intérimaires, portant seulement sur les marchandises. Il a renvoyé à 2008 les négociations pour terminer les APE complets. Ces derniers prennent en compte les services, les investissements, les appels d’offres, etc.

Au Mouvement militant mauricien (MMM), nous sommes bouleversés par l’absence, à Maurice, de débats relativement aux APE. Un accord controversé se prépare, que le pays s’apprête à ratifier. Cela aura des répercussions graves pour notre avenir. Cette absence de débats concernant cette question d’importance capitale est inquiétante. Nous sommes en retard. Mais il n’est pas trop tard. Au MMM, nous avons créé une commission, que je préside, pour étudier ce dossier. Nous nous rencontrons ce vendredi pour faire le point sur toute la situation et préciser notre position. Il est très possible que quand le Parlement se réunira le 19 de ce mois, nous posions une question d’intérêt national sur les APE, sur ce qui s’est passé à Barbados, au sommet de la Caricom (Caribbean Communities), dans la région des Caraïbes, et sur ce qui va se passer au Ghana. Nous insisterons pour la présence d’un ministre mauricien compétent, ainsi que pour celle du Premier ministre à la réunion d’Accra.


● Quels ont été les arguments de l’UE pour obtenir la signature des accords intérimaires ?

Les pays ACP dans les trois régions concernées par les accords intérimaires ont été vivement secoués par l’UE. Certains, comme Maurice, ont dû accepter de les signer sous la menace de l’UE et d’abolir les préférences douanières qu’elle leur accordait jusque-là. La question portait, pour Maurice, sur le textile et le thon. Déjà, il y a eu énormément de confusion autour de ces accords intérimaires. Présentement, à Barbados, ce qui se passe est particulièrement important. Des trois régions, seul le bloc des Caraïbes a paraphé, en décembre 2007, des APE globaux avec l’UE. Mais après cet acte, les contestations ont refait surface. Tandis que la Jamaïque veut que le processus suive son cours, Haïti et Guyana (Guyane anglaise) ne sont pas de cet avis. Le président de ce dernier pays, Bharrat Jagdeo, voudrait que les Caraïbes signent un accord intérimaire portant uniquement sur les marchandises, comme nous l’avions fait ici. Il voudrait qu’on laisse encore un peu de temps pour bien étudier les contours de cet accord global que l’UE leur demande de signer, sous la menace, au plus tard le 31 octobre.

Un aspect très contesté des APE est surtout le «most favoured nation clause». Selon cette clause, si les pays ACP signent un accord commercial avec l’UE et que plus tard, ils accordent des avantages plus généreux à un autre pays de la région par exemple, le même avantage qui a été accordé devra être étendu aux pays de l’UE. C’est inacceptable. La pression de l’UE devient plus forte que jamais.


● Qu’auriez-vous souhaité pour Maurice et les autres pays ACP ?

Premièrement, je regrette qu’il n’y ait pas eu beaucoup plus de cohérence et de travail en commun au niveau des pays ACP dans leur ensemble. J’espère qu’ici, le gouvernement a obtenu et étudié une copie de ces APE finaux qui ont été imposés à certains blocs des pays ACP par l’UE. Deuxièmement, je suis très inquiet de ce qui s’est passé au niveau des deux groupements qui nous intéressent. Le groupement ACP-Southern African Development Community et le groupement ACP-Afrique orientale et australe.


● Ne pensez-vous pas que les forces sont inégales, et que les pays ACP n’ont pas de réel pouvoir de négociation ?

Absolument. C’est le pot de terre contre le pot de fer. L’idée d’un sommet ACP a été émise en prévision d’une situation de cafouillage de ce genre. Les pays ACP, grâce à ce sommet, auraient pu solidifier le pot de terre face au pot de fer européen. Je suis très critique vis-à-vis de l’UE concernant ces APE, et particulièrement vis-à-vis de l’attitude du Commissaire européen Peter Mandelson. Je suis également très critique vis-à-vis de l’UE sur la question des accords de pêche. Mais cela dit, je salue toutes les grandes œuvres de l’UE à l’endroit des pays en développement, des pays les moins développés, ou des pays ACP en général.


«Il ne s’agit pas de pousser à l’affrontement entre Union européenne et pays ACP, mais de mieux faire entendre la voix de ces derniers»


● Les pays ACP iront à ces négociations en rangs dispersés. Ne pensez-vous pas que c’est un handicap sérieux ?

Absolument. Le fait que les pays les plus développés qui bénéficient du «everything but arms» ne se soient pas sentis concernés par les accords intérimaires, a aggravé l’atmosphère de division qui prévalait entre les pays ACP.


● Engager un bras de fer avec l’UE ne serait-il pas préjudiciable aux pays ACP pour l’avenir ?

Non. Pas un bras de fer. Il ne s’agit pas de pousser à l’affrontement, mais de mieux faire entendre la voix des pays ACP et d’obtenir des changements. Il faudra rapprocher l’accord final qui a été imposé aux Caraïbes et l’accord qui a été proposé, il y a de cela un an, aux pays du Pacifique. Il y a des différences énormes, d’un accord à un autre. Par exemple sur les délais dans lesquels les tarifs douaniers seront abaissés dans les pays ACP, sur les produits dits sensibles et ceux qui ne le sont pas. J’espère que ce travail de comparaison a été fait chez nous. C’est d’ailleurs l’une des questions que je poserai au gouvernement vendredi prochain. Mon souhait, c’est que ces accords intérimaires restent en vigueur aussi longtemps qu’il serait nécessaire. Cela permettrait aux pays qui les ont signés de bénéficier d’un délai pour bien étudier les contours de l’accord complet, dans toutes ses circonstances et tous ses détails.

Heureusement que certaines personnes au Parlement européen, où nous avons beaucoup d’amis, sont du côté des pays ACP. Christiane Taubira, députée française de Guyane française, a produit un rapport très critique sur les APE. J’espère que ce document aura une influence positive sur l’attitude de la France, qui préside en ce moment l’UE. Bien d’autres personnes, notamment le président sénégalais Abdoulaye Wade, ont bien discuté de la question avec l’actuel président de l’UE, Nicolas Sarkozy.


● Voulez-vous dire que les APE sont trop techniques pour être facilement compris par les personnes censées les signer ?

Tout à fait. Ce n’est pas si simple. Beaucoup de pays ACP ne sont pas assez équipés pour vraiment comprendre les subtilités des textes. C’est la raison pour laquelle ces accords ne doivent pas être signés dans une ambiance de bousculade. Il faudrait bien comprendre ce qui est en train d’être proposé, afin de faire des propositions, comme les ACP l’ont déjà fait par le passé. On pourrait d’abord se limiter aux accords intérimaires sur les marchandises seulement. Le reste, on l’étudiera, on en discutera à tête reposée, pour corriger les APE complets et pour qu’on retrouve enfin cette sérénité qui existait entre l’UE et les pays ACP. Même si cela doit aller au-delà de 2008, ce n’est pas grave. Il n’y a pas urgence. L’OMC laissera faire puisqu’on a déjà signé les accords intérimaires.


Propos recueillis par
Nico PANOU

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