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Haïti : Cabaret attend toujours, cinq jours après le drame

HPN
Posté le 10 septembre 2008

C’est dans des brouettes que les Cabarétiens évacuent la boue laissée par l’ouragan Ike dans leurs maisons. Les sinistrés de Cabaret attendent par ailleurs des secours qui tardent désespérément à venir.


Par Jonel Juste

Le constat est désolant à Carrefour-Damier, un quartier de la ville de Cabaret à une trentaine de kilomètres au nord de la capitale haïtienne. A peine débarque-t-on qu’on est littéralement happé par les habitants qui ne se font pas prier pour raconter leurs malheurs.

«Ah, vous êtes de la presse ! Vous devez voir ça, les choses sont vraiment critiques. Les dégâts sont importants et la ville compte encore ses morts», nous racontent deux employés de la Téléco de Cabaret qui viennent de faire un constat à bord d’une jeep.

En effet, partout où le regard se porte, on constate la même désolation : les pieds dans la boue, les habitants de la ville la plus touchée du département de l’Ouest sont occupés à nettoyer leurs maisons. Armée d’une pelle, une jeune femme gratte la boue qui recouvre le plancher de son humble maisonnette. Tout à côté, un jeune homme pousse une brouette pleine d’une boue brunâtre qu’il déverse au bord de la route. Je risque un œil à l’intérieur d’une des maisonnettes les moins touchées par l’inondation : dans l’intérieur sombre et humide, les meubles ont déjà été enlevés pour être nettoyés. Sur le plancher, ne restent que des gravats, témoins de la force des éléments.

«Le jour, nous venons déblayer nos maisons et sauver ce qui être sauvé, mais la nuit nous nous réfugions dans les montagnes, ou encore nous allons loger chez des proches», nous confie une femme dans la soixantaine qui dit n’avoir pu sauver que la robe maculée de boue qu’elle porte depuis la nuit fatidique du 6 au 7 septembre.

«Venez, je vous montre, dit-elle. Vous voyez cet emplacement, il y avait une maison ici. Elle est disparue, emportée avec tous ses occupants par les flots en furie de la rivière Béthel qui a surpris tout le monde.»

La survivante, qui dit vivre la peur au ventre toutes les nuits, se plaint de l’indifférence des autorités locales. «Depuis le jour où c’est arrivé, on n’a pas vu l’ombre du maire qui, lui, habite dans les hauteurs», crache-t-elle.

Ceux qui ne peuvent pas gagner les hauteurs sont parqués à l'école nationale de la zone, trop exiguë pour recevoir tous les sinistrés.

Mais à part l’absence des autorités locales, peu d’organismes ou d’ONG s’activent dans la ville sinistrée, qui a pourtant payé un lourd tribut à Ike. Plus de 63 morts en quelques heures, dont une majorité d’enfants. « Récemment, on a retrouvé 18 enfants sous les décombres, relate une Cabarétienne en train d’enlever la boue qui macule sa galerie. Tous étaient morts !»

Dans les villes de provinces, beaucoup d’enfants dorment par terre. « Le temps que les parents les secourent, les eaux les ont déjà emportés», explique Romney Cajuste sur les ondes de Radio Métropole. Habitant de Cabaret, il a lui aussi été victime des fureurs de la rivière Torcelles, le second bourreau de Cabaret. «Jamais de mémoire de Cabarétiens, les deux rivières n’étaient entrées en crue en même temps», indique l’ex-journaliste de Radio Métropole, aujourd’hui à Minustah FM.

La rivière qui a quitté son lit a aussi ravagé les plantations de bananes et emporté une bonne partie des jardins ainsi que des animaux, raconte, machette à la main, un paysan qui a perdu sa maison et qui, malgré tout, ironise sur son malheur.

«Il n’y a pas encore un an, en octobre 2007, on a été victimes du débordement de la rivière Béthel une première fois. Aujourd’hui c’est la même chose et rien n’est fait pour empêcher que cela ne se reproduise», regrette-t-il toutefois.

Des maisons construites aux abords de la rivière ont été emportées en totalité ou en partie, parfois avec leurs occupants. La route principale n’a pas été épargnée et il s’est est fallu de peu que la Nationale #2 ne soit coupée en deux par les flots en furie.

Les Travaux publics, a-t-on noté, sont déjà à pied d’œuvre et peinent à remblayer le fossé créé par le débordement des eaux qui menacent, si une autre pluie survient, de couper la route et d’isoler encore plus l’Artibonite du reste du pays.

Mais il n’y a pas que les dommages matériels qui préoccupent la population. L’absence d’eau potable se fait de plus en plus sentir. «Le plus dur est que depuis cinq jours nous sommes privés d’eau potable, explique une sinistrée. Nous serions morts de soif n’était la générosité du propriétaire de la morgue située plus haut.»

Alors que les habitants de Cabaret se plaignent amèrement de l’absence d’eau propre, quelques mètres plus loin sur la Nationale #2, des camions de la mission onusienne passent, remplis de sachets d’eau traitée et d’autres matériels de secours. Mais l’eau n’est pas pour Cabaret. Les camions filent vers les Gonaïves.

D’ailleurs, il ne semble n’y en avoir que pour la Cité de l’indépendance. Lorsque je demande sa destination à un convoi chargé de dons estampillés «Salud Publica» et portant pavillon dominicain, l’on me répond «Gonaïves ! ». Pas étonnant que tant de sinistrés de Port-de-Paix, de Hinche, de Mirebalais ou des milliers de plantations de l’Artibonite se plaignent. Eux ont aussi sont démunis. Et désespérés.

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