samedi

Haïti: «Je ne sais pas quand je rentrerai»

La Presse
Le samedi 13 septembre 2008
Caroline Touzin
Villard, un des nombreux villages inondés de la vallée de l'Artibonite, en Haïti.
Photo Martin Tremblay, La Presse

Saint-Marc . - La rentrée des classes est reportée au lycée du Bicentenaire, à Saint-Marc. Plutôt que des élèves, ce sont des centaines de sinistrés des ouragans Hanna et Ike qui s'entassent aujourd'hui dans les classes. Et personne n'a espoir que sonne bientôt la récréation.
Lors du passage de La Presse, en fin de journée hier, plus de 500 personnes, dont une majorité de jeunes enfants, n'avaient mangé qu'un bol de maïs depuis le matin. Ils sont une trentaine par classe à dormir par terre, la majorité sans matelas ni couverture. Une odeur d'urine règne dans certaines classes. Pour éviter les pillages, des hommes font le guet devant la pièce où sont stockés les rares sacs de riz de l'aide internationale.

Dans la cour intérieure, des enfants nus s'amusent avec des bouts de bois et des adolescents jouent au basket. Les adultes sont assis à l'ombre. L'inquiétude se lit sur leur visage. Dans le pays le plus pauvre d'Amérique, 80% de la population vit avec moins de 2$ par jour. Ces gens, qui n'avaient déjà pas grand-chose, ont tout perdu. Ils ont fui les Gonaïves et les villages environnants de la vallée de l'Artibonite, parmi les plus durement touchés par les quatre tempêtes tropicales (Fay, Gustav, Hanna et Ike) qui se sont abattues sur les Antilles en un mois.

Sajous Saget, 25 ans, a vu sa maison s'effondrer aux Gonaïves. Avec quelques amis, il a marché 14 km dans l'eau boueuse pour rejoindre la route. Un bon Samaritain les a ensuite conduits à Saint-Marc, à environ 1h30 de route plus au sud (quand la route est en bon état). «Je n'ai pas d'argent pour reconstruire», dit-il, l'air résigné. Au tableau noir de la classe où dort Sajous, quelqu'un a écrit: «Mieux vaut l'estime publique que d'être riche.»

Assise par terre, son bébé de 7 mois dans les bras, Nawelta Josama ne peut rentrer chez elle, à Savien, au nord de Saint-Marc. «Je ne sais pas quand je rentrerai», dit-elle. La jeune mère de cinq enfants n'a pas les 200 gourdes (5$US) pour payer sa place dans un autobus. Sa maison a été complètement inondée. Elle n'ose pas penser à l'état dans lequel elle la trouvera à son retour.
Cet abri temporaire au lycée Bicentenaire n'est pas unique. Depuis qu'Hanna a ravagé la vallée de l'Artibonite, il y a une dizaine de jours, plus de 19 000 personnes ont trouvé refuge dans un abri comme celui-là.

Ni le maire de Saint-Marc, Charles Baunars, ni la Protection civile haïtienne, qui gère ces abris temporaires, n'osent émettre une date de fermeture. «L'Éternel nous sauvera et la communauté internationale nous aidera», dit le maire à La Presse. «Les gens partiront quand la vie reviendra à la normale», lance Jean-Élie Constant, de la Protection civile.

D'autres, comme Natacha Saint-Louis, ont refusé de trouver refuge dans un abri temporaire, de peur d'abandonner leurs animaux dans cette vallée décrite comme le «grenier» du pays. À Villard, non loin de Saint-Marc, Mme Saint-Louis a hissé ses quatre enfants sur les deux seuls meubles de sa maisonnette: la table et le lit. Mais elle n'a pu sauver ses bêtes. Elle a vu ses deux porcs et ses deux chèvres se noyer. Sa table, son lit et ses quatre enfants. C'est vraiment tout ce qui lui reste. «Il n'y a plus d'eau dans la maison depuis hier (jeudi) seulement», raconte la mère de famille, dont les bras et les jambes sont constellés de piqûres de moustiques.

Sa voisine, Louise-Marie Jeune, a aussi perdu ses quelques cochons et ses poules. Ses enfants, qui se promènent nu-pieds, ont la diarrhée depuis quelques jours. La seule chose de gaie dans cette maison, comme dans bien d'autres semblables de la vallée de l'Artibonite ces jours-ci, ce sont ses couleurs: rose et vert. Des couleurs vivantes qui contrastent avec le brun-vert de l'eau tout autour, une semaine après le passage de l'ouragan Ike.

Aucun commentaire: