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Des accusations de détournements ralentissent la mobilisation de la diaspora haïtienne envers les victimes

Par Nancy Roc

Montréal, 08 sept. 08 [AlterPresse] --- Alors que le Canada a annoncé samedi qu’il verserait 600 000$ à Haïti, dont 400 000 à Médecins du monde, les Haïtiens vivant à Montréal hésitent à s’impliquer dans l’aide à apporter aux victimes des cyclones Fay, Gustav, Hanna, et aujourd’hui Ike.

La communauté est échaudée par les ratés de la collecte de fonds organisée en 2004, suite au passage de la tempête Jeanne. Cette dernière –la plus mortelle à ce jour- avait fait 3.000 morts.

« Plus de 530 000$ avaient alors été amassés lors d’un radiothon organisé par la radio communautaire haïtienne CPAM de Montréal, mais les organisateurs avaient tardé à dépenser la somme au lieu de la consacrer à l’aide d’urgence comme prévu », écrit Karine Chateauneuf sur l’agence en ligne Matin.qc.ca du dimanche 7 septembre 2008.

Cette dépêche précise qu’un ancien animateur de CPAM croit que les gens sont maintenant plus méfiants. « Je pense que cela explique le fait qu’il n’y ait pas de dynamique de solidarité en ce moment. L’aide s’organise de façon individuelle, entre les familles. »

« Pour le moment, la mobilisation à CPAM est au niveau zéro », confie à AlterPresse un responsable de CPAM qui a voulu conserver l’anonymat.

Plusieurs personnes, contactées par notre agence, refusent de s’exprimer sur la responsabilité de la direction de CPAM et de l’ODECH (l’organisme à but non lucratif qui gérait ce fonds) dans ces allégations de détournements de fonds.

« On n’a pas encore pu prouver le bien-fondé de ces allégations qui pèsent sur ces deux instances et le directeur, Ernst Jean-Pierre, étant aussi un avocat, il pourrait entamer des procédures contre de fausses accusations », avoue un Haïtien très respecté dans la communauté de Montréal et qui a aussi souhaité garder l’anonymat.

« Mais il est clair que c’est cette affaire qui empêche aujourd’hui la communauté de se mobiliser comme en 2004 », précise-t-il.

De son côté, l’agence en ligne Média Mosaïque souligne l’amertume du directeur de CPAM, Jean-Ernst Pierre.

« Dans une attaque au vitriol visant notamment ceux qui se sont montrés critiques à son endroit, le directeur de la radio haïtienne de Montréal a surtout mis à l’index le comportement autodestructeur de ses compatriotes. ‘Je viens d’avoir ma leçon et j’ai eu la réponse à mes questions concernant le sous-développement d’Haïti. Écoutez, le sous-développement d’Haïti est dû aux Haïtiens et uniquement aux Haïtiens’, fulmine Jean-Ernest Pierre », selon l’agence en ligne.

Ainsi, à Montréal, la collecte de fonds passe pour le moment par des organismes humanitaires ou de coopération canadienne reconnus en Haïti, tel qu’OXFAM-QUÉBEC.

Dans un communiqué daté du 4 septembre, le Regroupement des organismes canado-haïtiens pour le développement (ROCAHD) invite ses membres et la population québécoise en général, à faire preuve d’une grande générosité en versant des dons en argent à OXFAM-QUÉBEC. Le ROCAHD est un organisme de bienfaisance reconnu par Revenu Canada et membre associé d’OXFAM-QUÉBEC.

Campagne de sensibilisation dans la ville de Québec

Le Professeur Jean-Joseph Moisset du Département des fondements et pratiques en éducation de la ville du Québec a été élevé il y a moins de deux semaines au rang de Consul honoraire de la République d’Haïti à Québec. Cette nomination prestigieuse reconnaît l’engagement continu du Professeur Moisset dans le développement de son pays natal et, notamment, de son système éducatif.

Face à la dévastation d’Haïti, il déplore l’hésitation de ses compatriotes : « je pense que c’est vraiment dommage qu’on ne vienne pas le plus rapidement possible au secours de cette population haïtienne en détresse », déclare-t-il à AlterPresse.

« Nous avons, comme tout le monde, entendu ces accusations de détournements de fonds, non seulement en nature mais aussi en argent. Toutefois, je pense qu’il nous faut aller de l’avant et dépasser ce phénomène pour prêter main forte à la population haïtienne », affirme le nouveau consul honoraire d’Haïti de la ville de Québec.

Moisset insiste sur la nécessité de prendre toutes les précautions nécessaires pour que les fonds destinés à Haïti puissent parvenir aux victimes.

Dans ce sens, il a lancé une campagne de sensibilisation qui devrait paraître ce lundi dans les deux principaux quotidiens de la ville, le Soleil et le Journal de Québec. Cette campagne de sensibilisation a déjà été lancée depuis deux jours à travers les différents réseaux que les Haïtiens du Canada contrôlent sur le Net.

Il a préféré faire appel à OXFAM-QUÉBEC et au Centre d’Études et de Coopération Internationale (CECI) qui, selon lui, ont pignon sur rue en Haïti depuis de nombreuses années.

« Il y a toujours moyen de prendre des précautions pour pouvoir transiger avec des organismes qui ont de l’expérience et dont on sait qu’ils doivent rendre des comptes », a-t-il affirmé.

Miami et Boston confrontées aux mêmes réticences

À Miami, le directeur général de Radio Méga - la principale radio de la communauté haïtienne- Alex Saint Surin, fait état des mêmes hésitations de la part des compatriotes vivant dans cette ville des États-Unis.

« Le cas de CPAM à Montréal a encore été évoqué lors d’une réunion », déclare-t-il à AlterPresse.

« Nous aussi, en 2004, nous avons fait face à des détournements, mais aujourd’hui nous essayons de fédérer l’aide à apporter aux victimes à travers l’Association Chrétienne pour le développement d’Haïti (ACDH) », précise-t-il.

Cette association qui est, selon ses dires, très proche de Radio Méga, a été créée il y a environ trois mois essentiellement dans le but de revendiquer les droits politiques des haïtiens vivant à Miami. Cependant, devant la catastrophe naturelle qui a dévasté Haïti, elle souhaite désormais apporter son soutien aux sinistrés.

Si cette association est encore très jeune, Alex Saint Surin pense qu’elle bénéficie d’une grande crédibilité auprès de la communauté, vu les membres qui la composent et le fait que ces derniers animent des émissions sur Radio Méga qui couvrent une large partie du Sud de la Floride.

« Beaucoup de gens se sont déjà adressés à cette association plutôt qu’à d’autres qui s’apprêtent à faire des collectes de fonds pour les victimes d’Hanna en Haïti », déclare-t-il.

À Boston, l’animateur très connu de Radio Énergie, Marcus Plaisimond, révèle à AlterPresse que la communauté haïtienne souhaite aussi aider mais a été « éclaboussée par de nombreuses accusations de détournements de fonds notamment dans l’Artibonite en 2004 ». Aussi, les mêmes hésitations entravent-elles une mobilisation rapide des Haïtiens vivant dans cette ville.

Pour le moment, aucune initiative n’a été prise par la communauté haïtienne de Boston. Selon Marcus Plaisimond, « il n’y a eu qu’un avis du Ministère des Affaires Étrangères d’Haïti, transmis par le Consulat d’Haïti à Boston, qui informait que toute aide aux sinistrés devrait être acheminée à travers ledit ministère ».

Pour l’animateur de Radio Énergie, « ceci est peut-être une façon d’éviter une répétition des détournements auxquels nous avons fait face en 2004 ».

Toutefois, il y a lieu de se demander pourquoi cet avis émane du ministère des affaires étrangères plutôt que de celui des Haïtiens vivant à l’étranger.

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